Il s’avère que le nouveau gouvernement canadien a « une longue pente à remonter » dans ses rapports avec le milieu scientifique. C’est du moins ce qu’a constaté Arthur Carty, ancien conseiller national des sciences, lors de la septième Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes (CPSC) tenue à Ottawa à la fin de novembre.
« Cette conférence a lieu à un moment crucial, mais opportun, pour le milieu canadien des sciences et des technologies, a indiqué M. Carty. Le moment est crucial, car au cours de la dernière décennie, le Canada a atteint un bas niveau historique en raison des actions et des politiques de son gouvernement. La confiance s’est effritée, les preuves et les conseils ont été ignorés, et la science, de manière générale, est menacée. »
Le redressement de cette situation troublante, a-t-il ajouté, est une tâche titanesque. « Il faudra de la transparence et un changement profond dans l’attitude et la philosophie du gouvernement et de la bureaucratie, de même qu’une promesse de dialogue avec les scientifiques et avec la population sur les enjeux scientifiques. »
M. Carty, actuellement directeur général de l’Institut de nanotechnologie de l’Université de Waterloo, a été président du Conseil national de recherches pendant 10 ans avant de devenir le premier conseiller national des sciences du Canada, de 2004 à 2008. L’ancien gouvernement conservateur a supprimé son poste, mais les partis d’opposition ont tenté de le rétablir par des projets de loi d’initiative parlementaire en 2013 et 2015.
Les Libéraux se sont engagés à rétablir le bureau du conseiller national des sciences au cours de la récente campagne électorale, une promesse réitérée dans la lettre de mandat de la ministre des Sciences, Kirsty Duncan. En effet, la priorité citée en premier dans la lettre est la création d’un « poste de conseiller scientifique en chef ayant pour mandat de veiller à ce que les travaux scientifiques menés au sein du gouvernement soient accessibles à la population, à ce que les scientifiques soient en mesure de parler librement de leurs travaux et à ce que les analyses scientifiques soient prises en compte dans le processus décisionnel du gouvernement. »
Compte tenu de ces promesses, les attentes envers le nouveau gouvernement sont élevées dans le milieu scientifique. À l’ouverture officielle de la CPSC, Mehrdad Hariri, président de la Conférence et du Centre d’études sur la politique scientifique canadienne, a comparé l’ambiance à celle de la réunion de 2009 de l’American Association for the Advancement of Science, après l’élection de Barack Obama. « L’enthousiasme que je constate au sein du milieu scientifique est exceptionnel, a-t-il soutenu. Je n’avais jamais vu cela. »
Arthur McDonald a ensuite eu l’occasion de canaliser cet enthousiasme en donnant le ton d’une série d’exposés sur la manière de formuler des conseils scientifiques au gouvernement. M. McDonald, professeur émérite à l’Université Queen’s et ancien directeur de l’Observatoire de neutrinos de Sudbury, avait appris quelques semaines plus tôt qu’il était co-lauréat du Prix Nobel de physique 2015.
Après avoir fait le récit de ses quelque trois décennies de travail à l’Observatoire, M. McDonald a rappelé que les organismes subventionnaires n’avaient jamais vu de projet d’une telle ampleur et d’une telle portée à ses débuts, à la fin des années 1980. Ces grands projets, a-t-il ajouté, sont bien plus fréquents et mieux soutenus depuis l’existence de la Fondation canadienne pour l’innovation, du Programme des chaires de recherche du Canada et du Programme des réseaux de centres d’excellence.
Il a toutefois mis l’auditoire en garde qu’il ne suffit pas de démarrer ces projets; il faut aussi assumer les coûts souvent très variables et imprévisibles de fonctionnement et de maintien de ces importantes activités de recherche. « Lorsque de nouveaux projets voient le jour, non seulement faut-il une structure pour choisir ceux qui recevront un appui financier, mais il faut aussi décider de la provenance de cet argent tout au long du projet », a-t-il fait remarquer.
Sir Peter Gluckman, directeur du bureau du conseiller scientifique principal du premier ministre de la Nouvelle-Zélande depuis 2009, l’a suivi au podium. M. Gluckman a souligné que le titulaire d’un tel poste ne peut pas être un simple lobbyiste des sciences et des technologies, qui n’inspirerait pas la confiance nécessaire pour orienter les politiques du gouvernement.
« Les conseils scientifiques ne sont ni de la science ni de la politique », a-t-il soutenu, ajoutant que le conseiller scientifique est « un nouveau type de personne. Il doit s’agir d’un scientifique crédible […], mais par-dessus tout, il doit s’agir d’un interprète capable de faire comprendre le langage politique aux scientifiques et le langage scientifique aux politiciens. »
Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec depuis 2011, et Alan Bernstein, président et chef de la direction de l’Institut canadien de recherches avancées, ont tous deux abondé en ce sens. Ils ont souligné l’importance des relations d’ordre personnel que doivent entretenir les conseillers scientifiques avec les membres du gouvernement – régulièrement remplacés – pour discuter d’enjeux de sciences, de société et d’économie qui changent aussi. « Les tâches du poste de conseiller scientifique se définissent au fur et à mesure », selon M. Quirion.
En ce qui a trait au rétablissement des sciences et des technologies dans le discours du gouvernement fédéral, M. Gluckman a précisé que de nombreux pays y sont parvenus en ayant recours à des stratégies très diverses. Au lieu d’en vanter une en particulier, il a plutôt mis l’accent sur l’attitude qui les caractérisait toutes. « Je pense que l’accès prime sur la structure », a-t-il conclu.