Les occasions de réflexion entourant la liberté universitaire (ou académique selon l’usage) ont été nombreuses au cours des derniers mois. Non seulement certains incidents très médiatisés ont-ils servi de prétexte pour aborder cette question, la consultation sur « l’université québécoise du futur » a permis au milieu universitaire d’amorcer son introspection. L’une des 12 recommandations de ce rapport déposé en décembre par le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, porte précisément sur la liberté universitaire.
La ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, Danielle McCann, reconnaît que la communauté universitaire a déjà été appelée à se prononcer « de façon globale » sur cet enjeu au cours de la dernière année. « On n’est pas allé jusqu’à dire que ça nous prend un énoncé ou une loi-cadre. Il y avait des avis partagés », précise celle qui a vu dans cette troisième recommandation pour « l’université du futur » une invitation à « aller plus loin ».
C’est dans cet esprit que la ministre a formé le comité d’experts et en a confié la présidence à Alexandre Cloutier, vice-recteur aux partenariats, aux affaires internationales et autochtones de l’Université du Québec à Chicoutimi. Le groupe est notamment chargé d’effectuer un état des lieux dans le but de « faire des recommandations quant au rôle du gouvernement [du Québec] et du ministère de l’Enseignement supérieur en matière de liberté académique ».
Adoption d’une loi?
Souhaitée par certains, appréhendée par d’autres, la possibilité que ces travaux se soldent par l’adoption d’une loi n’est pas une utopie. Selon son échéancier, le comité publiera son rapport en décembre prochain et le gouvernement devrait adopter ses recommandations en hiver 2022.
Pour le président du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) et recteur de l’Université de Sherbrooke, Pierre Cossette, le mandat contient certaines questions auxquelles il est simple de répondre. « Est-ce que le ministère de l’Enseignement supérieur a un rôle à jouer [dans la liberté universitaire]? La réponse, c’est non. Pour nous, ça c’est clair. »
Des propos qui tranchent avec la position de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), dont le président, Jean Portugais, soutient que l’adoption d’une loi encadrant la liberté universitaire serait « le moyen à privilégier ». La FQPPU a soumis en février 2020, avant le début de la pandémie, à l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge, un projet de loi en ce sens.
La FQPPU qui représente quelque 8 200 professeurs d’université au Québec continue de défendre son projet de loi. « On est convaincu que c’est la façon de résoudre le problème. » Pour M. Portugais, le problème prend la forme d’un vide juridique. Une loi de type déclaratoire telle que proposée dans le projet de loi de la Fédération permettrait de donner préséance à la liberté académique plutôt qu’au devoir de loyauté d’un employé envers son employeur, qui lui est enchâssé dans le Code civil du Québec. « Les juges et les arbitres donnent préséance à ce qui existe. Ils n’ont pas l’instrument juridique pour agir [en faveur de la liberté universitaire] », explique-t-il.
Au contraire, M. Cossette estime qu’un projet de loi serait contre-productif. « D’avoir une loi [sur la liberté académique], ce serait comme avoir un médicament qui a plus d’effets secondaires que d’effets bénéfiques », illustre M. Cossette. S’il ne nie pas que la mise en application du principe puisse parfois être perfectible, reste que pour le BCI « la liberté universitaire ça doit se passer dans les universités ».
Il a d’ailleurs tenu a rappelé que « toutes les universités québécoises adhèrent de plein gré à la déclaration sur la liberté universitaire d’Universités Canada [éditrice d’Affaires universitaires] ». Une adhésion qu’a réitérée le BCI lors de sa réunion du conseil d’administration l’automne dernier.
Bien que Mme McCann assure que l’exercice en cours ne se voulait pas un désaveu à l’égard des universités et leur gestion de la liberté universitaire, c’est l’interprétation qu’on en fait au BCI. « Pour nous, ça va être l’occasion de faire de la pédagogie pour expliquer ce qu’on fait déjà », ajoute M. Cossette.
La ministre n’est pas sans savoir que certaines universités québécoises ont déjà amorcé des réflexions internes portant sur la liberté universitaire ou même la liberté d’expression. À peine une semaine avant que les premières rumeurs concernant la composition du comité d’experts commencent à circuler, l’Université Laval rendait public son Énoncé institutionnel sur la protection et la valorisation de la liberté d’expression. Il aura fallu un peu moins de deux ans pour le comité-conseil du Conseil universitaire sur la liberté d’expression pour mener à bien son mandat amorcé en mai 2019 et produire ce document.
Au départ, c’est l’annulation de conférences à la suite de pressions des étudiants qui a attiré l’attention d’Alain Rochon, doyen de la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design et président du comité-conseil sur la liberté d’expression à l’Université Laval, sur l’importance de se pencher sur ce sujet à titre d’université. Il constate qu’avec les événements des derniers mois, les travaux « ont pris une autre tournure, mais ça tourne autour du principe de la liberté d’expression ».
Jusqu’ici accueilli par la communauté universitaire avec soulagement et fierté, l’adoption de l’énoncé a conclu la première phase des travaux du comité-conseil. Le document confirme que « tout sujet peut être abordé et devant ceux qui sont controversés, l’établissement évite la censure et favorise la prise de parole ». Selon M. Rochon, la deuxième phase portera sur « les modalités d’application, par exemple le mécanisme à mettre en place pour recevoir les plaintes. On pensait aussi doter les enseignants d’outils pour prévenir les cas qui pourraient s’enflammer et aussi les gérer dans certains cas ».
Bonjour,
encore une fois, on ignore la parole des personnes chargées de cours. Misère.