Baisse des inscriptions étrangères : une crise sans précédent chez les universités

Le milieu de l’enseignement postsecondaire prend des mesures préventives pour endiguer la crise financière exacerbée par le plafond des permis d’études.

19 décembre 2024
Male shadow figure in between a 50 dollar bill and a ten dollar bill.
Graphique de : Edward Thomas Swan

Les universités de partout au pays doivent serrer les cordons de leur bourse après la chute vertigineuse – parfois de plus de 50 % – des inscriptions étrangères. Et ce n’est pas fini : le fédéral resserrera encore les exigences d’immigration dans les deux prochaines années.

S’ajoutent à cela des réalités provinciales telles que le sous-financement chronique et la baisse des revenus liés aux inscriptions nationales. D’autres facteurs aggravants, comme les pertes d’emploi, les gels d’embauche, les incitations à la retraite anticipée, la réduction du nombre de cours et de sections, voire la fermeture de campus, pèsent lourdement sur le secteur de l’enseignement postsecondaire, tel une épée de Damoclès.

La menace est double, estime Gabriel Miller, président-directeur général d’Universités Canada (éditrice d’Affaires universitaires). Le pays est « limité dans sa capacité » d’offrir une éducation universitaire à ses citoyennes et citoyens en raison du financement lacunaire des programmes, et « se prive de précieux talents » en compliquant la venue d’étudiantes et étudiants étrangers prometteurs aux cycles supérieurs, qui risquent de trouver l’herbe plus verte ailleurs.

D’après le Conseil des universités de l’Ontario, les universités de la province sont « au point de rupture » et courent droit à la « catastrophe financière ». Au sous-financement public et au gel provincial des droits de scolarité pour les étudiantes et étudiants canadiens s’ajoutent les changements fédéraux en matière d’immigration qui, à eux seuls, devraient priver les universités d’environ un milliard de dollars dans les deux premières années. C’est du « jamais vu » pour le secteur universitaire, confie Steve Orsini, président du Conseil.

« Attendez-vous à d’importantes coupures dans les programmes et services, prévient-il. Les services étudiants (encadrement, orientation de carrière, santé mentale, logement, activités parascolaires) représentent une part de plus en plus importante du budget. Tout ça risque d’en pâtir. »

En Colombie-Britannique, « aucun établissement ne s’en sortira indemne », insiste Nikki Macdonald, présidente de l’Association des instituts et universités de la Colombie-Britannique. Les compressions de personnel administratif et du corps professoral ont déjà commencé, par le biais de départs volontaires plutôt que de mises à pied, affirme-t-elle. Même si aucune mesure draconienne n’a encore été prise, lorsque la baisse des inscriptions et les révisions budgétaires entraînées par les changements atteindront leur point culminant d’ici l’année prochaine, « il faudra probablement sabrer dans les programmes ».

L’Université polytechnique Kwantlen, membre de l’association, fait partie des établissements offrant une retraite anticipée à son corps professoral. À l’automne, les nouvelles inscriptions en provenance de l’étranger y ont chuté de 53 % par rapport à l’an dernier, passant de 1060 (en 2023) à 502. Les demandes d’admission d’étudiantes et étudiants étrangers, qui formaient environ 40 % des inscriptions l’an dernier, ont aussi diminué en janvier et en février.

Plus à l’est, l’Université de la Saskatchewan a enregistré à l’automne une baisse de 57 % des nouvelles inscriptions en provenance de l’étranger au premier cycle, et a constaté une diminution de 11,5 % de sa population étudiante étrangère en général (qui comptait 3 848 membres l’an dernier). Bien que cela ne représente que 1 % de son budget de fonctionnement, l’établissement travaille actuellement à « diversifier ses revenus », a indiqué la porte-parole Victoria Dinh par courriel.

L’Université de Calgary, quant à elle, constate une diminution de presque 9 % de sa population étudiante étrangère (6 998 inscriptions l’an passé contre 6 394 à l’automne), ce qui a entraîné une baisse de revenus de 11 millions de dollars. Dans la foulée du plafond de permis d’études imposé par le fédéral, le gouvernement albertain a exigé un examen du financement de l’enseignement supérieur. Placé sous l’égide de Jack Mintz, économiste et boursier de la présidente à l’École de politique publique de l’Université de Calgary, le projet est sur le point de commencer. « Les choses ont bien changé. Les politiques fédérales sur les étudiantes et étudiants étrangers affecteront les revenus des établissements d’enseignement supérieur, on l’a vu », a confié la ministre albertaine de l’Enseignement supérieur, Rajan Sawhney, à CBC News au début novembre.

Les universités et les collèges comptaient de plus en plus sur les inscriptions étrangères pour pallier le manque de financement et internationaliser leurs campus. Mais le fédéral a changé la donne en janvier dernier en décidant d’abaisser le plafond des permis d’études en 2024 et 2025 et de resserrer les critères d’admissibilité au permis de travail postdiplôme, pourtant un incitatif non négligeable pour les personnes souhaitant étudier au pays. En septembre dernier, le gouvernement a annoncé que le plafond serait encore abaissé de 10 % en 2025 et 2026 (après la diminution de 35 % imposée en 2024), et qu’il s’appliquerait désormais aussi aux cycles supérieurs.

Les programmes de retraite volontaire, les gels d’embauche et les révisions stratégiques des finances visant à réduire les coûts constituent la première ligne de défense des universités contre la précarité financière. L’Université de Winnipeg, l’Université Simon Fraser, l’Université Thompson Rivers, l’Université McGill, l’Université Queen’s, l’Université Dalhousie, l’Université de Waterloo et l’Université Memorial, notamment, ont gelé les embauches d’une façon ou d’une autre dans la dernière année.

Étant donné la gravité de la situation, nombre d’universités en appellent au public, indique M. Orsini. « On a tenu des assemblées publiques. On annonce des compressions dans les programmes. »

À l’Université de Waterloo, qui accuse actuellement un déficit de 75 millions de dollars, « les données de novembre révèlent une baisse d’environ 30 % des inscriptions étrangères par rapport à l’an dernier, pour un total inférieur de moitié aux objectifs fixés », a révélé le recteur Vivek Goel lors de l’assemblée publique du 18 novembre. « Les pressions budgétaires ne semblent pas vouloir s’alléger […]. Il faut trouver des moyens de réduire les dépenses pour retrouver l’équilibre. » L’Université York affiche un déficit encore plus élevé cette année, soit 111 millions de dollars, a appris son sénat en novembre.

Dans l’Atlantique, les universités enregistrent quant à elles une baisse de 11,4 % des inscriptions étrangères – soit près de 3 000 – qui a désolé l’Association des universités de l’Atlantique. « La perte de ces étudiantes et étudiants devrait coûter 163 millions de dollars à la région en dépenses et revenus estimés », écrit Peter Halpin, directeur général de l’Association, dans un article d’opinion pour Affaires universitaires. Il ajoute qu’en moyenne, la population étudiante étrangère compose environ 30 % des inscriptions universitaires dans la région. Parmi les universités ayant accusé une baisse inhabituelle des inscriptions étrangères entre les automnes 2023 et 2024, citons l’Université Memorial (de 4 805 à 4 058), l’Université Dalhousie (de 4 175 à 3 429), l’Université Saint Mary’s (de 1 639 à 1 400) et l’Université Cape Breton (de 6 939 à 5 764).

La situation est moins alarmante au Québecau Québec, où les inscriptions étrangères à l’université n’ont diminué que de 1 %. La province n’est pas hors de danger pour autant : la moitié des universités québécoises comptent sur les inscriptions étrangères pour pallier le manque d’étudiantes et d’étudiants canadiens, indique un rapport de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université – un document rédigé en réponse au projet de loi 74, adopté au début du mois de décembre, qui donne au Québec un contrôle accru sur les admissions d’étudiantes et d’étudiants étrangers. Certaines universités, notamment l’Université Bishop et l’Université Concordia ainsi que, dans une moindre mesure, l’Université Laval, l’Université McGill, l’École de technologie supérieure, l’Université du Québec à Trois-Rivières, HEC Montréal et Polytechnique Montréal, affichent une baisse supérieure à la moyenne, indique le rapport sur les inscriptions au trimestre d’automne 2024 du Bureau de coopération interuniversitaire.

Plusieurs universités ont confié à Affaires universitaires qu’en automne dernier, des personnes de l’étranger avaient dû reporter leur inscription car leur demande de permis n’avait pas été traitée à temps. Et bien que le ministre de l’Immigration, Marc Miller, prenne « des mesures » pour répondre aux préoccupations du milieu, le président-directeur général d’Universités Canada est d’avis qu’il faudrait agir avec « plus d’efficacité et d’ambition », et que le pays a besoin d’un « plan viable pour regagner sa place sur la scène internationale en matière d’éducation ».

La période d’admissions 2025-2026 est sur le point de commencer, et les provinces attendaient toujours de connaître leurs quotas fédéraux de permis d’études à la mi-décembre. Dans un courriel à Affaires universitaires, le ministère de l’Immigration a assuré que les provinces et territoires auraient leurs quotas pour 2025 avant le 22 janvier… Juste à temps pour remettre à zéro le compteur des restrictions. Il a ajouté que le cadre pour les établissements d’enseignement reconnus, qui améliorerait les délais de traitement des demandes de permis d’études pour les établissements d’enseignement supérieur offrant des services de qualité aux étudiantes et étudiants étrangers, était toujours en cours d’élaboration. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a toutefois refusé de préciser quand il sera publié, ce qui sera selon M. Miller essentiel pour améliorer les délais de traitement.

« D’abord, donnons aux provinces leurs quotas; ensuite, améliorons les délais de traitement. Ce sont les deux priorités immédiates », affirme-t-il.

Note de la rédaction : Universités Canada est l’éditrice d’Affaires universitaires.

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