Comment les étudiants étrangers font-ils face à la pandémie?

Malgré un avenir incertain, les étudiants étrangers coincés sur les campus s’efforcent de garder le moral.

13 mai 2020
residence room

Eunah Cha est seule dans un appartement de quatre chambres à l’Université de l’Alberta. Même si elle s’est d’abord réjouie d’avoir tout cet espace, l’effet de nouveauté s’est rapidement estompé. « Je me sens parfois un peu seule. La résidence est très calme. Je ressens ce vide. »

L’étudiante de deuxième année en sciences infirmières est originaire de Corée, un des premiers pays frappés par la pandémie de COVID-19. Elle n’a pas pu rentrer chez elle et est maintenant confinée dans sa résidence.

Elle n’est pas la seule. Partout au pays, les étudiants étrangers représentent la majorité des étudiants qui vivent toujours sur les campus. À l’Université de l’Alberta, Mme Cha compte parmi les 1 300 étudiants qui résidaient toujours sur le campus au début de mai. 75 pour cent d’entre eux venaient de l’étranger. L’Université Thompson Rivers compte actuellement 442 étudiants étrangers sur son campus, et l’Université McGill, environ 400.

Une expérience solitaire

De nombreuses écoles prennent des précautions pour limiter la propagation de la COVID-19, par exemple en déplaçant les étudiants dans des chambres individuelles dotées de leur propre salle de bain et en s’assurant que seuls des repas pour emporter sont servis. Les étudiants sont donc plus isolés que jamais. Ces mesures sont appropriées sur le plan de la santé publique, mais s’accompagnent d’un fort sentiment de solitude.

Le mois dernier, Saad Farooqi a bien failli rester coincé à l’Université de Windsor. La Ville réduisait ses services de transports en commun et il lui était de plus en plus difficile de se procurer des produits de base, comme la nourriture. « J’étais seul et déprimé parce que je ne pouvais pas sortir, voir mes amis, gagner de l’argent en travaillant ou suivre mes cours, alors que c’était la raison même de ma présence au Canada. » Il a réussi à trouver un vol vers le Pakistan à la mi-avril et a pu finir ses cours et ses examens en ligne.

Paul Davidson, président-directeur général d’Universités Canada (l’éditeur d’Affaires universitaires), affirme que son association a travaillé étroitement avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada afin de prolonger les visas des étudiants étrangers encore au pays et de leur permettre de travailler temporairement. Les étudiants étrangers ne sont pas admissibles à la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants, mais ils peuvent demander la Prestation canadienne d’urgence s’ils respectent les critères d’admissibilité.

« Le traitement réservé aux étudiants étrangers aura un effet déterminant sur notre capacité à les attirer à l’avenir », explique M. Davidson. Les étudiants étrangers rapportent environ 22 milliards de dollars à notre économie chaque année. « Ils ont donc une grande incidence non seulement pour les universités, mais aussi pour les collectivités canadiennes, car ils paient des loyers, louent des voitures et font l’épicerie. Il s’agit d’un secteur important, de la même envergure que l’exportation de pièces automobiles. »

Baihua Chadwick, vice-rectrice adjointe aux affaires internationales de l’Université Thompson Rivers, affirme que les étudiants étrangers sont aux prises avec de nombreux défis, dont un stress financier. « Beaucoup de nos étudiants travaillaient à temps partiel, entre autres au sein des services auxiliaires du campus. Compte tenu de l’annulation de l’ensemble des services de traiteur et des conférences à l’Université, et des effets que la COVID-19 a pu avoir sur les entreprises familiales, les difficultés financières que connaissent certains étudiants sont bien réelles. »

De nombreuses universités ont mis en place leurs propres solutions pour aider financièrement les étudiants étrangers, mais les mesures varient grandement en fonction de l’emplacement géographique, du nombre d’étudiants et de la situation financière de chaque établissement. L’Université du Cap Breton a lancé le fonds d’aide Perseverance, qui est accessible aux étudiants étrangers; l’Université McGill maintient son régime d’assurance-maladie pour étudiants étrangers jusqu’à la fin du mois d’août pour ceux qui doivent rester au Canada; et l’Université Thompson Rivers, en plus de son aide financière d’urgence, a mis sur pied une banque alimentaire pour les étudiants n’ayant pas les moyens de faire l’épicerie.

Esprit de communauté et sentiment d’appartenance

Janice Johnson, vice-doyenne aux étudiants en résidence à l’Université de l’Alberta, affirme que même si certains services ont changé, la vie en résidence demeure essentiellement axée sur l’esprit de communauté et le sentiment d’appartenance, deux caractéristiques que le personnel tente de préserver pour les étudiants toujours sur place. « Une résidence forme une communauté soudée. Les résidents continuent à discuter dans les couloirs (à quatre chambres de distance, sans quitter le cadre de leur porte) et le personnel étudiant vérifie régulièrement comment chacun se porte. »

Mme Cha, en tant qu’adjointe aux résidences, fait partie de ce personnel. L’étudiante en sciences infirmières a d’ailleurs aidé à organiser des séances de danse aérobique et des jeux-questionnaires en ligne. Les résidents gardent aussi le contact grâce à des activités comme des soirées virtuelles de peinture. « Ils peuvent venir chercher de la peinture et des pinceaux, et ensuite peindre avec les autres à partir de leur chambre. » C’est ce qui se rapproche le plus d’une vie normale à l’heure actuelle, explique-t-elle.

Mais, comme le souligne M. Davidson, même si ces soirées virtuelles de peinture et ces vérifications régulières fonctionnent pour le moment, le vrai défi pour les universités risque de se poser au trimestre d’automne. « Les étudiants étrangers versent chaque année environ six milliards de dollars en frais de scolarité aux universités; ces dernières se préparent donc à une baisse importante de revenus », explique-t-il. Il pourrait toutefois y avoir moyen de limiter cette baisse en septembre, si les établissements permettent aux étudiants étrangers de suivre leurs cours en ligne depuis leur pays d’origine, advenant le cas où les frontières demeureraient fermées.

Si les voyages sont permis au trimestre d’automne, M. Davidson indique que les établissements devront trouver des moyens de loger les étudiants de façon sécuritaire. « Si les étudiants étrangers doivent se placer en isolement volontaire, pourrons-nous équiper les campus en conséquence? Ou établir des ententes avec les hôtels locaux? »

Mme Cha, quant à elle, ne sait pas trop ce que l’avenir lui réserve. Elle a trouvé un vol qui la ramènera en Corée dans quelques semaines. Si son emploi d’été est annulé et le trimestre d’automne est offert en ligne, qui sait quand elle sera de retour.

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