Des universitaires s’inquiètent des répercussions liées à l’exclusion de Huawei
« Cette décision risque de porter un coup dur aux collaborations scientifiques », prévient un chercheur en informatique.
La récente décision du gouvernement fédéral d’interdire la participation des équipementiers chinois à la construction des réseaux 5G au Canada met en lumière des préoccupations voulant que le resserrement des règles de sécurité nationale ait un effet dissuasif dans le milieu de la recherche au pays.
En théorie, l’interdiction d’utiliser des composantes de Huawei et de ZTE dans les réseaux de communication sous réglementation fédérale ne devrait avoir aucune incidence sur la recherche universitaire. En effet, ni l’utilisation d’appareils personnels de ces marques ni les collaborations avec ces sociétés ne sont visées. Tamer Özsu, directeur du laboratoire d’innovation Waterloo-Huawei, regrette toutefois le manque de clarté pour la communauté de recherche. « Le gouvernement fédéral a pris une décision politique et l’a annoncée publiquement, dit-il. Il est donc responsable de cette décision, et c’est dans l’espace public qu’on peut débattre du pour et du contre. »
Mais, en pratique, l’interdiction donne lieu à une culture qui presse les universités à refuser le financement provenant de sociétés comme Huawei. « Les services de renseignements instaurent un climat qui pousse les administrations universitaires à tuer dans l’œuf des projets et des collaborations de recherche, sans avoir à rendre de comptes à leur corps professoral », poursuit M. Özsu.
Le laboratoire de l’Université de Waterloo a vu le jour en 2018 grâce à un investissement de Huawei de 6,5 millions de dollars pour, entre autres, financer la recherche sur la gestion de données, les langages de programmation et les compilateurs. Depuis, 31 projets ont été réalisés, sous la direction de 38 membres du corps professoral, dont une majorité de chercheurs en début de carrière. Financé à l’origine pour trois ans, le laboratoire est actuellement paralysé, l’administration n’ayant pas encore approuvé son renouvellement, proposé en juin 2021. Selon M. Özsu, l’incertitude, conjuguée à la méfiance générale à l’égard de sociétés comme Huawei, a poussé certains de ses collègues à se retirer de projets de collaboration.
Vice-recteur adjoint aux communications à l’Université de Waterloo, Nick Manning, mentionne que les questions d’ordre contractuel restent normalement confidentielles. Il précise cependant que l’Université « respecte à la lettre » la législation. « Aucune université n’est en mesure d’évaluer adéquatement les situations touchant à la sécurité nationale, dit-il. Nous suivons l’avis du gouvernement du Canada. Nous avons communiqué avec les représentants fédéraux chargés du dossier pour obtenir leur avis sur la question. »
Pas de rupture des partenariats à l’ordre du jour
Chaque année, Huawei investit environ 25 millions de dollars dans des projets de recherche de nombreuses universités canadiennes. Selon un porte-parole de l’Université de Toronto, le géant chinois a commandité quelque 150 projets menés par 42 chercheurs au cours des cinq dernières années, ce qui représente environ 18 millions de dollars. L’établissement n’entend pas mettre un terme à ce partenariat, sauf sur l’ordre du gouvernement fédéral. « La décision du gouvernement du Canada ne vise pas les universités ni la recherche, précise le porte-parole. Si toutefois le gouvernement modifie ses lignes directrices concernant le financement de projets de recherche, nous les respecterons, bien entendu. »
En ce qui concerne l’Université McGill, elle compte actuellement « un très petit nombre » de partenariats de recherche avec Huawei, affirme sa porte-parole, Claire Loewen. « Comme les autres établissements canadiens, l’Université McGill observe les lignes directrices et la réglementation fédérales encadrant les partenariats de recherche, confirme-t-elle. Aucune décision n’a encore été prise au sujet des projets en cours. »
La méfiance à l’égard de partenariats de recherche avec des sociétés comme Huawei ne date pas d’hier, selon Christopher Parsons, qui étudie les télécommunications et la sécurité nationale au laboratoire citoyen de l’École Munk des affaires internationales de l’Université de Toronto. Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) lançait en juillet 2021 les Lignes directrices de sécurité nationale pour les partenariats de recherche, qui exigent une évaluation des risques pour la sécurité nationale pour toute demande de partenariat de recherche avec des organismes du secteur privé soumise au programme des subventions Alliance du CRSNG.
Les candidats doivent être « conscients des préoccupations du gouvernement du Canada concernant les fournisseurs comme Huawei et ZTE, qui pourraient être contraints à se conformer à des directives extrajudiciaires d’un gouvernement étranger qui iraient à l’encontre des lois canadiennes ou seraient préjudiciables aux intérêts du Canada », explique un porte-parole du CRSNG.
M. Parsons et Özsu soulignent toutefois la difficulté pour des chercheurs de répondre à bon nombre des questions de l’évaluation prévue aux Lignes directrices, notamment lorsqu’on leur demande si certains collaborateurs ont des liens avec des services de renseignements étrangers, ou si le demandeur a lu et compris la Loi sur les exportations du Canada. « Ce ne sont pas des experts dans ces domaines », fait remarquer M. Parsons.
Flou réglementaire quant à l’évaluation des risques
M. Özsu déplore par ailleurs le manque de clarté de la part des services de renseignements sur les critères d’évaluation des risques. « S’il y a de véritables préoccupations, et je suis convaincu qu’il y en a, c’est à eux qu’il incombe de les définir et de nous indiquer les situations à éviter », soutient-il.
En outre, les pratiques exemplaires d’atténuation des risques énoncées dans les Lignes directrices n’ont pas beaucoup de sens dans un cadre de recherche universitaire, renchérit M. Parsons. Par exemple, un étudiant aux cycles supérieurs qui travaille tard au laboratoire et accède à des informations dont il n’a normalement pas besoin doit être considéré comme un risque et surveillé de près – alors qu’il s’agit sans doute d’un étudiant exceptionnel qui désire propulser sa carrière.
« Ces pratiques ont été élaborées avec les meilleures intentions, mais elles sont très éloignées de la réalité universitaire, regrette-t-il. Elles risquent d’entraver considérablement la recherche et soulèvent, à juste titre, l’inquiétude de la communauté universitaire au Canada. »
Bien que les Lignes directrices du CRSNG ne s’appliquent en principe qu’aux subventions assorties de fonds fédéraux de contrepartie, M. Özsu affirme que leur effet dissuasif déteint sur le financement provincial. Les administrations universitaires s’alignent sur les recommandations du gouvernement fédéral, même pour des subventions entièrement privées. « Il est dangereux de donner aux services de renseignements, même implicitement, autant de pouvoir sur nos activités de recherche, prévient-il. Cette décision risque de porter un dur coup aux collaborations scientifiques, qui permettent au Canada de jouer dans la cour des grands. »
Postes vedettes
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Doyen(ne), Faculté de médecine et des sciences de la santéUniversité de Sherbrooke
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
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