La réponse canadienne à la pandémie vue par les bailleurs de fonds de la recherche

Les fonds ont vite été distribués, les chercheurs se sont mobilisés, mais certains rajustements ont été nécessaires.

09 décembre 2020
Mona Nemer.

Lors de l’éclosion de la pandémie au Canada, début 2020, les principaux organismes fédéraux subventionnaires de la recherche canadienne savaient qu’ils avaient un important rôle à jouer et ils ont rapidement œuvré à coordonner leurs efforts dans le cadre du Comité de coordination de la recherche au Canada (CCRC). Lors d’une table ronde virtuelle tenue en novembre à l’occasion de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes, les dirigeants des organismes subventionnaires ont abordé la manière dont ils ont appuyé les chercheurs canadiens dans leur lutte contre la pandémie et sur les difficultés entraînées par cette dernière pour le milieu de la recherche.

Dans un premier temps, ils ont veillé à procurer rapidement aux chercheurs canadiens les ressources nécessaires pour s’attaquer au problème. « On ne disposait au départ d’aucun expert sur la COVID-19 », a rappelé la conseillère scientifique en chef du gouvernement fédéral, Mona Nemer, animatrice de la table ronde. Quoiqu’il en soit, de nombreux chercheurs forts d’une expertise dans le domaine médical ainsi qu’en matière de sciences sociales et naturelles ont su s’adapter pour relever le défi.

Michael Strong.

Le président des Instituts de recherche en santé du Canada et du CCRC, Michael Strong, a souligné que les organismes subventionnaires avaient lancé dès février un appel de propositions de projets de recherche accompagné d’une enveloppe de 180 millions de dollars, 11 jours à peine après que la COVID-19 a été déclarée urgence de santé publique et un mois avant que l’Organisation mondiale de la Santé déclare qu’on était en présence d’une pandémie. « Nous observons maintenant les premiers résultats des projets financés, a-t-il affirmé. Ils contribuent déjà à façonner de grands enjeux liés à la pandémie qui touche le Canada et le monde, et continueront à le faire au fil des ans. »

Une réponse multidisciplinaire

Chaque discipline scientifique avait une contribution à apporter, par l’entremise de chercheurs cliniques, de biologistes, de spécialistes en modélisation mathématique, d’experts en communication, etc. Le président du Conseil de recherches en sciences humaines, Ted Hewitt, a souligné qu’en l’absence de vaccin, la lutte contre la pandémie repose avant tout sur l’évolution des comportements humains et des politiques gouvernementales, ajoutant qu’à cet égard « les sciences sociales jouent un rôle essentiel ».

D’autres organismes se sont aussi mobilisés. Selon son président Roger Scott-Douglas, le Conseil national de recherches Canada a géré le groupe de travail national sur les vaccins et consacré une part considérable de ses ressources et de ses capacités à la COVID-19. « Environ un tiers de nos chercheurs travaillent actuellement à la lutte contre la pandémie », a-t-il précisé.

De son côté, la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) a mis l’accent sur le financement des grands projets d’infrastructure que les chercheurs attendaient depuis des années. « Nous venions à peine de recevoir les demandes liées à notre fonds pour les grandes infrastructures, a rappelé sa présidente, Roseann O’Reilly Runte. C’était une première en trois ans, et les chercheurs avaient vraiment besoin de cet argent. Nous avons donc décidé de tout gérer en ligne. »

Mme O’Reilly Runte s’est dite fière du fait que la FCI ait réussi à terminer à temps l’examen des demandes, précisant que 400 millions de dollars seront bientôt distribués à 102 projets. Au début de novembre, la FCI est aussi parvenue, dans le cadre de son Fonds des occasions exceptionnelles, à distribuer 28 millions de dollars à des projets urgents liés à la pandémie et n’exigeant aucun financement de contrepartie de la part des établissements bénéficiaires, pour que ces projets puissent démarrer sans tarder.

Les groupes sous-représentés touchés de manière disproportionnée

Les participants à la table ronde ont aussi discuté des conséquences disproportionnées de la pandémie sur les femmes et les autres groupes sous-représentés en science. « La pandémie a clairement amplifié l’iniquité envers plusieurs groupes sous-représentés, a affirmé le président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, Alejandro Adem. Une crise comme celle-là fait ressortir toutes nos faiblesses, mais offre aussi une occasion unique de nous y attaquer. »

Roseann O’Reilly Runte.

Les organismes subventionnaires procèdent déjà à des rajustements pour tenter de remédier à ces conséquences. Selon M. Strong, les courts délais accordés pour soumettre les demandes ont entraîné une nette sous-représentation des femmes lors de la première phase du processus d’attribution des subventions visant à contrer la pandémie. Ces délais ont donc été prolongés de 10 jours pour la seconde phase, ce qui a contribué à atténuer cette sous-représentation.

Selon Mme O’Reilly Runte, ayant constaté que les femmes sont plus enclines à travailler en équipe que seules, la FCI souhaite revoir ses appels de propositions. Elle mise également à fond sur les technologies qui permettent une participation à distance aux divers processus. Mme O’Reilly Runte aimerait aussi savoir par quels moyens on pourrait accroître la diversité en combinant différents facteurs.

Mme Nemer a précisé que de nombreux chercheurs craignent une « COVIDisation » de la recherche, à savoir une concentration de l’argent et de l’attention sur la COVID-19 au détriment d’autres domaines. Ainsi, elle a voulu savoir comment les organismes subventionnaires arrivent à trouver un équilibre.

Alejandro Adem.

M. Strong a répondu que la majorité des sommes consacrées à la COVID-19 provenaient de nouveaux programmes de financement, sans incidence sur les programmes préexistants. De plus, de nombreux projets liés à la pandémie sont axés sur des questions scientifiques fondamentales et contribuent donc grandement au renforcement des compétences dans tous les domaines.

Soulignant que « tout le monde ne travaille pas sur la COVID-19 », M. Adem a rappelé que le CRSNG avait prolongé ses subventions et bourses d’études axées sur la découverte pour favoriser la poursuite des travaux de recherche perturbés par la pandémie. Environ 1 500 chercheurs ont selon lui profité de cette prolongation.

De nombreux participants à la table ronde ont aussi souligné que la pandémie avait sensibilisé la population à la science comme rarement auparavant, et ont discuté des moyens de maintenir cette attention dans l’intérêt de la société. « Cette importance accordée à la science ne portera ses fruits que si nous parvenons à faire confiance, a affirmé M. Scott-Douglas. Et la confiance s’acquiert par l’ouverture et la transparence, « il faut faire preuve d’honnêteté en ce qui concerne les risques »

M. Adem a incité les participants à profiter des projecteurs braqués sur la science pour mieux la faire comprendre au public et s’opposer à la désinformation qui sévit depuis le début de la pandémie. « Alors que nous réfléchissons au moyen de reconstruire en mieux, tirons parti des formidables leçons apprises grâce à la science pour instaurer dans la société une vaste culture scientifique fondée sur les données probantes et réfractaire à la désinformation. »

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