Les universités revoient leur approche relative à l’inconduite universitaire
Les établissements postsecondaires poussés à s’adapter en raison de l’intelligence artificielle générative et des autres nouvelles technologies qui s’invitent dans les évaluations étudiantes.
La tricherie s’est transformée. Elle est en hausse depuis l’essor des activités d’apprentissage en contexte numérique qui comprennent à la fois la surveillance d’examens à distance et l’émergence de logiciels d’intelligence artificielle (IA) capables de rédiger des dissertations, déchiffrer des notions de biologie ou créer de l’art visuel et de la musique. Le personnel enseignant s’interroge sur la manière d’évaluer les étudiant.e.s dans ce nouveau paysage alors que les universités revoient leurs manières d’encadrer et de sanctionner l’inconduite universitaire.
Pour la directrice principale de l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage à l’Université de la Saskatchewan, et membre du groupe de travail sur l’intégrité universitaire de l’établissement, Nancy Turner, « il est nécessaire d’amorcer un dialogue sur la transition vers une culture axée sur l’intégrité universitaire » dans les activités d’enseignement et d’apprentissage au premier cycle. De son côté, l’Université Western a également mis sur pied un groupe de travail en la matière et l’Université de la Colombie-Britannique a récemment clarifié ses stratégies et communications en matière d’inconduite universitaire en s’appuyant sur les recommandations de différents groupes de travail.
Les universités redoublent d’efforts pour lutter contre l’augmentation des cas d’inconduite notée au cours des dernières années. Le nombre de cas a atteint des sommets au printemps de 2020 lors du passage aux activités d’enseignement et d’apprentissage presque entièrement en ligne. Par exemple, à l’Université du Manitoba, les cas d’inconduite sont passés de 891 en 2018-2019 à 1 303 en 2019-2020, avant de connaître une baisse pour s’établir à 1 219 en 2020-2021. À l’Université de Toronto, ils ont explosé en 2019-2020, avec 2 203 cas rapportés (alors qu’on en comptait environ 1 600 en 2018-2019), une ascension qui s’est poursuivie en 2020-2021, tandis que 3 901 cas ont été répertoriés.
En 2022-2023, l’Université Western a enregistré 430 cas d’inconduite, représentant une baisse de 12 %, soit une première diminution en cinq ans. Même si elle ne dispose pas des chiffres exacts, Mme Turner s’attend à ce que l’Université de la Saskatchewan enregistre des chiffres comparables à ceux des dernières années. « Le nombre d’incidents tend à se stabiliser, mais nous faisons encore face à des problématiques liées à l’inconduite universitaire. »
Un logiciel de surveillance qui rate la cible
En 2020, la pandémie a forcé les universités à recourir à de nouveaux logiciels de surveillance d’examens à distance afin de maintenir l’intégrité des évaluations, ce qui n’a toutefois pas manqué d’ajouter de nouveaux obstacles à la lutte contre les actes répréhensibles. « Les entreprises qui offraient ce genre de logiciels semblaient vendre du rêve », déplore Sarah Elaine Eaton, professeure agrégée à la Faculté d’éducation Werklund de l’Université de Calgary. Selon elle, ces entreprises employaient des techniques de vente sous pression alors que les décisionnaires traversaient une période difficile, et ont fait des promesses que leurs produits n’ont pas remplies.
Mme Eaton souligne que les logiciels ont généré des problèmes inattendus pour lesquels le corps enseignant, le personnel de surveillance des examens et la population étudiante ont dû improviser des solutions. Elle se souvient d’un exemple précis, alors qu’une personne à la peau foncée a dû, pour faire son examen, pointer une lumière sur son visage afin d’être reconnue par le logiciel de surveillance, qui n’avait pas été programmé pour détecter toutes les teintes de peau. À l’automne 2020, le programme Proctortrack a fait l’objet d’un bris de sécurité qui a touché des étudiant.e.s de l’Université Western et des étudiant.e.s en médecine, qui ont effectué des examens d’aptitude la même année, ont rapporté une multitude de problèmes, comme se faire expulser sans raison de la plateforme, administrée par Prometric.
Des groupes étudiants, y compris ceux des universités Western et Waterloo, ont dénoncé la situation, ce qui a entraîné des changements dans l’utilisation de ce genre de logiciels, voire leur interdiction. « L’équilibre s’est rétabli en faveur des évaluations en personne », indique Simon Bates, vice-provost et vice-recteur adjoint à l’enseignement et à l’apprentissage à l’Université de la Colombie-Britannique. Un grand nombre d’examens professionnels ou nationaux sont toujours offerts uniquement en ligne, ou le sont de manière optionnelle. Certains d’entre eux, comme l’examen d’aptitude en médecine, ont été repensés en raison des plaintes des étudiant.e.s.
La démocratisation de l’IA générative
Si la technologie offre des outils permettant de lutter contre l’inconduite universitaire, la course peut sembler perdue d’avance devant la montée fulgurante des programmes d’IA générative, l’un des plus connus étant ChatGPT. « C’est comme la suggestion de texte sur les stéroïdes », lance Luke Stark, professeur adjoint à la Faculté d’information et d’études des médias de l’Université Western. « Ils sont capables de générer un très grand nombre de textes lisibles et convaincants, mais ne savent pas ce qu’est une phrase bien ficelée. Ils ne comprennent pas le sens de quoi que ce soit. »
Ceceilia Parnther, professeure adjointe de leadership en enseignement supérieur à l’Université St. John’s à New York, soutient que les administrations d’université et le corps professoral ne devraient pas se surprendre de la démocratisation de l’IA générative, car elle n’a rien de nouveau. « Je crois que le milieu réagit au fait que cette technologie est maintenant accessible à tout le monde. Mais elle ne date pas d’hier. » Microsoft Office, Google Docs et Grammarly emploient l’IA pour corriger l’orthographe et la grammaire et proposer des formulations. Google Traduction déstabilise les professeur.e.s de langue depuis des années, à l’image des programmes d’IA capables de créer des présentations, des vidéos ou d’autres contenus numériques.
Une université en France a interdit ChatGPT, comme l’ont fait de nombreuses écoles primaires et secondaires aux États-Unis. Au moins une université canadienne, l’Université de Montréal, a interdit son usage dans le cadre d’examens et d’évaluations, à moins d’indications contraires de l’enseignant.e responsable. De nombreux autres établissements ont prévu des lignes directrices et foires aux questions encadrant son utilisation. « On tente d’imposer des limites pour se sentir en contrôle », observe Mme Parnther. Elle soutient que les universitaires devraient plutôt apprivoiser les programmes d’IA qui touchent leurs disciplines. « J’invite les gens à se questionner sur la place de la technologie dans les salles de classe et à se demander dans quelles mesures elle aide ou nuit. » Ces programmes cherchent avant tout la rentabilité, et c’est pourquoi ils profiteront davantage aux personnes qui peuvent payer.
Ces logiciels peuvent également devenir des outils d’aide à l’enseignement et à l’apprentissage. « Il pourrait s’agir d’excellents outils pour les personnes qui n’aiment pas écrire », suggère Mme Eaton, qui croit que le personnel enseignant pourrait les intégrer aux évaluations. Un exemple consisterait à utiliser un logiciel d’IA pour générer une courte dissertation que la classe pourrait ensuite analyser.
Le corps enseignant constate que les étudiant.e.s ont recourt à l’IA générative pour tricher. Un sondage américain a d’ailleurs démontré que 48 % de la population étudiante fait appel à l’IA générative pour tricher dans le cadre d’une évaluation à réaliser à la maison et que 53 % l’ont utilisé pour rédiger une dissertation. M. Stark craint qu’on recoure secrètement à l’IA pour générer une dissertation qui sera ensuite ajustée de manière à ce qu’elle soit davantage précise et qu’elle reflète mieux le style d’un.e étudiant.e. « L’objectif même des dissertations est de partir de zéro », affirme-t-il, en soulignant qu’un tel usage de la technologie bouleverse le processus d’apprentissage.
Mme Eaton mentionne que les projets réalisés lors de la première ou deuxième année d’études, et qui ne requièrent pas un degré élevé de pensée critique, pourraient être particulièrement touchés, surtout dans le contexte de cours ayant une lourde charge de travail. « Si l’IA est utilisée pour alléger la charge de travail ou encore pour faire comme les autres, fort est à parier que les étudiant.e.s commettront une forme d’inconduite », observe-t-elle. Puisque les étudiant.e.s peuvent désormais recourir à l’IA de manière autonome et gratuitement, les « usines à articles » pourraient être affectées, après avoir prospéré durant la pandémie en offrant des dissertations au rabais et en proposant aux étudiant.e.s de passer des examens en ligne à leur place.
Une approche globale de l’intégrité universitaire
Pour repérer les cas d’inconduite perpétrés par le biais de l’intelligence artificielle, les enseignant.e.s se tournent vers des outils comme GPTZero, conçu à Toronto par un étudiant en informatique de l’Université Princeton. Selon Mme Eaton, même si ces programmes peuvent s’avérer utiles, les gens ne font que repousser le problème à plus tard. « Le rythme auquel les choses évoluent n’est pas près de ralentir. Un nouvel outil n’attend pas l’autre. » ChatGPT-4, Microsoft Bing et Bard, de Google, ouvriront sans doute la voie à d’autres produits spécialisés de grandes entreprises.
Pour pallier cette tendance, les enseignant.e.s envisagent de privilégier des examens oraux, des dissertations rédigées à la main et des projets en classe. « À l’heure actuelle, le personnel enseignant a appris, ou devrait avoir appris, qu’il n’est pas adapté d’évaluer de la même façon qu’il l’a lui-même été », résume Mme Eaton.
Selon Mme Parnther, les objectifs d’apprentissage permettront aux enseignant.e.s de déterminer les changements à apporter. Toutefois, l’ajustement des méthodes d’évaluation pourrait s’avérer difficile dans le cas de cours magistraux à large auditoire. « Tout le monde n’a pas une classe d’une vingtaine d’étudiant.e.s », remarque M. Stark.
Les établissements considèrent différentes approches pour sanctionner l’inconduite universitaire. « Nous aimerions privilégier des processus qui permettent aux étudiant.e.s de comprendre les problématiques qui y sont liées et de restaurer ce qui a été perdu, soit, dans la plupart des cas, leur apprentissage », précise Mme Turner, qui espère que l’Université de la Saskatchewan adoptera une stratégie axée sur la justice réparatrice pour lutter contre la tricherie.
Une telle stratégie est déjà en place à l’Université de la Colombie-Britannique, qui s’est dotée d’un processus « de diversion » qui permet à certain.e.s étudiant.e.s ayant admis leurs actions répréhensibles d’élaborer un plan d’intégrité. « C’est un moment d’apprentissage propice pour les aider à comprendre les attentes de la communauté scientifique », ajoute M. Bates.
En effet, la prévention et une prise en compte approfondie des questions d’équité pourraient être les meilleurs moyens pour les universités de lutter contre l’inconduite universitaire, quel que soit le plus récent logiciel. « Ces technologies feront partie de nos vies numériques pour longtemps », rappelle M. Bates.
Postes vedettes
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Gestion, évaluation et politique de santé - Professeur(e) au rang d’adjoint ou d’agrégé (administration des services de santé et services sociaux)Université de Montréal
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