Retour sur la COVID-19 : comment les universités archivent-elles ce moment historique

Des partenariats patrimoniaux aux robots d’indexation, les archivistes, bibliothécaires et historiens universitaires utilisent une foule d’outils pour capter la réalité de la pandémie.

25 septembre 2020
books with white covers

Qu’aurons-nous retenu de la COVID-19 à pareille date l’an prochain? Dans cinq ans? Dans 50 ans? Et encore plus important, de quoi faudra-t-il se souvenir? Quels renseignements seront utiles aux historiens? Aux épidémiologistes? Aux artistes? Qu’est-ce qui vaut la peine d’être préservé?

Voilà les questions que se posent actuellement les archivistes, les bibliothécaires et les historiens universitaires. Le regard tourné vers l’avenir, ils travaillent à préserver les artefacts qui aideront à mettre en contexte et à expliquer notre situation actuelle dans toute sa singularité.

« Nous avons reçu du matériel provenant des enfants d’âge scolaire aux personnes âgées de l’ensemble de la région de Niagara », raconte David Sharron, responsable des archives et des collections spéciales à la bibliothèque de l’Université Brock. Son équipe s’appuie sur un modèle d’histoire vivante pour documenter le quotidien au temps de la COVID-19. Grâce à une plateforme en ligne libre d’accès, toute personne de la région qui le souhaite peut répondre à un bref questionnaire ou soumettre des photos, des essais et des œuvres d’art.

« Dans le cadre d’un projet d’histoire, une jeune fille a comparé la pandémie actuelle à celle de la grippe espagnole, en 1918. Elle a composé une magnifique chanson et s’est filmée en train de l’interpréter au ukulele. Elle a ajouté sa vidéo sur la plateforme, raconte M. Sharron. Il y a aussi un diplômé de l’Université Brock qui nous a fourni la correspondance électronique qu’il a entretenue durant les neuf premières semaines de la pandémie et où il expliquait chaque semaine comment sa femme et lui se sentaient. »

À l’instar de l’Université Brock, d’autres bibliothèques et services d’archives canadiens s’intéressent à l’ensemble de leur région, et pas seulement à leur établissement. À l’Université de la Saskatchewan, l’équipe d’historiens qui recueillait les archives sur la COVID-19 a rapidement constaté qu’il lui serait difficile de se limiter au milieu universitaire.

« Si on décide de ne discuter qu’avec des gens de l’université, doit-on inclure l’hôpital où ils sont si nombreux à être formés et à travailler? Et qu’en est-il de leurs conjoints, qui ont vu apparaître un bureau à domicile chez eux? », demande Erika Dyck, membre de l’équipe de direction du projet, professeure d’histoire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire de la médecine.

Compte tenu de ces limites floues, l’équipe de l’Université de la Saskatchewan s’est concentrée sur les récits oraux et témoignages personnels, et les lacunes seront comblées par ses homologues des archives provinciales et municipales qui « dresseront le portrait de ce qui se passe au Cabinet et aux ordres supérieurs du gouvernement », explique Jim Clifford, professeur agrégé d’histoire environnementale qui fait aussi partie de l’équipe de direction du projet.

Du côté de l’Université Queen’s, les archivistes privilégient la démarche inverse. À l’aide d’un modèle de collecte Web passif, Jeremy Heil, archiviste responsable des dossiers numériques et confidentiels, se concentre exclusivement sur l’Université et la région de Kingston. Il surveille chaque jour un programme Web qui recueille de l’information sur un certain nombre de sites locaux du gouvernement, d’entreprises et de santé. L’équipe de l’Université Queen’s a décidé très tôt d’éviter les médias sociaux. Même si les Twitter et Facebook de ce monde regorgent de renseignements sur la vie au temps de la COVID-19, ils présentent certains défis éthiques.

« Les échanges avec ces personnes nécessitent davantage d’efforts de notre part, car nous devons vérifier si elles souhaitent être associées au type d’information que nous recueillons. Et il faut aussi aborder la propriété du matériel », explique M. Heil. Même son de cloche du côté de l’Université de la Saskatchewan, qui a choisi de rester loin des réseaux sociaux pour le moment. « Les résidents de la Saskatchewan cèdent-ils leur droit à la vie privée lorsqu’ils publient sur une plateforme publique comme Facebook? C’est une zone grise qui reste à éclaircir », souligne M. Clifford.

Même les universités qui fonctionnent selon un modèle en ligne sont confrontées à ces enjeux. L’Université Athabasca avait recours à l’enseignement et à l’apprentissage en ligne bien avant que ses pairs y soient forcés. Elle a malgré tout connu son lot de problèmes, même si l’archivage n’en était pas un. Karen Langley, gestionnaire des dossiers institutionnels et archiviste universitaire, indique que le modèle d’apprentissage à distance de l’établissement a apporté une grande diversité aux archives. « Nos étudiants sont dispersés, parfois en dehors de l’Alberta. Nous avons donc un aperçu de ce qui se passe ailleurs au Canada et dans le monde. »

Mme Langley explique en outre que les « tranches de vie » sont particulièrement prisées, car ce sont souvent les événements du quotidien les plus insignifiants qui sont les plus évocateurs d’un contexte historique. Elle se souvient de l’anecdote racontée par une collègue qui était retournée à son bureau pour la première fois depuis des mois. « C’était très étrange pour elle, car tous les calendriers, dans tous les cubicules, indiquaient le mois de mars. Comme si le temps s’était arrêté. Je lui ai dit qu’il s’agissait d’un détail étonnant et qu’elle devait le transmettre aux archives. »

Corey Davis est agent de programme visiteur à l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC) et bibliothécaire responsable de la conservation numérique à l’Université de Victoria. Il aide les universités à organiser leur collection pour éviter les doublons inutiles.

« Nous inscrivons nos activités sur des feuilles de calcul en ligne pour bien les coordonner et permettre à chacun de voir ce qui a déjà été recueilli, explique-t-il. L’ABRC possède une liste de diffusion qui permet de mettre en commun un maximum d’information sur les activités de chacun et, au besoin, de demander de l’aide. »

Si certaines universités s’associent à des archives municipales ou provinciales pour conserver ces dossiers, M. Davis se dit peu étonné que la responsabilité de ces vastes projets incombe souvent aux établissements d’enseignement. Sa bibliothèque, à l’Université de Victoria, a communiqué avec de petits musées de la région afin de collaborer pour enrichir leur collection numérique. Il explique que les archives ont besoin de capacités supplémentaires pour conserver les « artefacts d’origine numérique » et que, dans certaines collectivités, celles-ci ne sont accessibles que dans les bibliothèques universitaires. Selon lui, quand c’est le cas, cela démontre bien à quel point les universités font partie intégrante de leur collectivité.

On prévoit, dans la plupart des archives universitaires, continuer d’accepter les artefacts pendant au moins un an pour observer l’évolution des sentiments et des réactions à ce moment exceptionnel de l’histoire. Certains plans seront révisés à mesure que les choses rentreront dans l’ordre. Du côté de l’Université Brock, M. Sharron espère profiter rétrospectivement d’une certaine nostalgie : « En mars 2021, les gens se feront rappeler ce qu’ils faisaient à la même période de l’année précédente par leurs médias sociaux, et je crois qu’il faudra les inviter à nous soumettre des nouvelles, car ils auront eu beaucoup de temps pour y réfléchir. »

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