Sécurité nationale, recherche et diversité : naviguer entre les limites

La tension entre les impératifs de sécurité et l'ouverture à la diversité dans la recherche universitaire expose les défis complexes que le Canada doit relever pour maintenir son engagement mondial tout en protégeant ses intérêts nationaux.

15 mars 2024

Les enjeux de sécurité en ce qui concerne la recherche universitaire ont fait couler beaucoup d’encre depuis le début de l’année. Quelques semaines avant que le gouvernement fédéral ne dévoile sa politique délimitant les domaines de recherche sensibles ainsi que les partenaires étrangers à éviter, un juge de la Cour fédérale a confirmé la décision d’un agent d’immigration ayant refusé, en 2022, le permis d’études d’un citoyen chinois souhaitant effectuer un doctorat à l’Université de Waterloo, invoquant des préoccupations liées à la sécurité nationale. Le juge en chef a rejeté l’appel de Yuekang Li qui contestait cette décision, soulignant dans le jugement que « des acteurs étatiques hostiles utilisent de plus en plus des méthodes non traditionnelles pour obtenir des informations sensibles au Canada ou à l’étranger ».

Cette affaire n’a pas manqué de rappeler le cas de Reza Jahantigh, un citoyen iranien qui s’est vu refuser son permis pour étudier à l’École de technologie supérieure (ÉTS) de Montréal. L’étudiant, dont les recherches portent sur la technologie de la chaîne de blocs, a commencé son programme en ligne depuis l’Iran en 2020. Après avoir attendu plus de trois ans pour une réponse à sa demande de permis d’études pour poursuivre ses recherches au Canada, il a saisi la Cour fédérale en décembre 2022, demandant une intervention pour que le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté prenne une décision. En septembre dernier, un agent d’immigration canadien à Ankara, en Turquie, a émis une lettre indiquant que le ministère avait des motifs raisonnables de croire que l’étudiant pourrait être interdit de territoire au Canada en raison de sa potentielle dangerosité pour la sécurité nationale.

Interrogé sur la réaction de l’ÉTS par rapport à cette situation, son directeur du service des affaires publiques et des relations gouvernementales, Jean-Alexandre D’Etcheverry, ne peut que respecter les décisions prises par le gouvernement fédéral dans le cadre de la sécurité nationale. « Je crois qu’il est important de parler de la liberté académique que nous respectons, mais qui peut aussi limiter notre capacité à agir concernant certains projets de recherche en lien avec des juridictions et institutions visées par des restrictions. »

Délimiter l’impossible

Ancien diplomate et professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, Ferry de Kerckhove apporte un éclairage nuancé sur la complexité des enjeux de sécurité et de recherche. S’il exprime une compréhension profonde des défis sécuritaires contemporains, il souligne la nécessité de définir des limites claires dans les domaines de coopération et insiste sur la distinction entre la collaboration universitaire, souvent constructive malgré les différends politiques, et les alliances gouvernementales plus restrictives. « Je comprends parfaitement les inquiétudes en matière de sécurité et autre. Mais d’un autre côté, nous vivons dans un monde profondément intégré et, de ce fait, nous observons très souvent des collaborations très étroites, bien que de faible envergure du point de vue gouvernemental, mais très importantes pour le monde universitaire », explique-t-il.

M. de Kerckhove, qui a notamment été haut-commissaire du Canada auprès de la République islamique du Pakistan et ambassadeur en Indonésie puis en Égypte, estime que l’État canadien et les établissements universitaires doivent évidemment coopérer pour définir la stratégie de maximisation des admissions tout en maintenant la sécurité. Or, « il est extrêmement difficile de mener de telles enquêtes face à des pays comme la Chine et l’Iran », regrette-t-il. « Si vous prenez l’exemple de l’Iran que je connais très bien puisque j’y ai vécu, comment voulez-vous mener une enquête de sécurité, même la plus basique, dans un pays avec lequel vous n’avez pas de relations? »

À son avis, il serait plus avantageux de décider dans quels secteurs, le Canada peut accepter la présence d’étudiant.e.s provenant de l’international, surtout s’ils sont des secteurs qui amènent à coopérer avec le ministère de la Défense ou la science des technologies, plutôt que de leur dire : « Je ne veux pas de vous. » « Le gouvernement a le droit de dire aux universités, chercheurs et chercheuses de ne pas toucher pas à ce secteur, point final. »

Chef de la direction du regroupement des universités de recherche du Canada U15, Chad Gaffield craint que la présentation par le gouvernement fédéral de sa nouvelle politique en la matière risque d’affecter la diversité par laquelle se distingue le Canada sur la scène internationale. « La diversité des étudiants est une priorité au Canada [et est] considérée comme une richesse pour la recherche. Il est crucial de s’assurer que tous les étudiants, quelle que soit leur origine, se sentent les bienvenus et représentent une richesse pour le pays. Protéger cette diversité est une priorité pour garantir la bonne conduite de la recherche et le succès de nos programmes universitaires. »

M. Gaffield souligne que l’inquiétude selon laquelle le Canada pourrait s’éloigner de la recherche internationale est tout à fait légitime. Il a affirmé que la tradition du Canada est de jouer un rôle clé à l’échelle mondiale, établissant des partenariats dans le monde entier. Selon lui, il est essentiel que le Canada continue de participer activement à la recherche mondiale tout en veillant à éviter les risques potentiels pour le pays. Il précise également que les partenariats existants positionnaient favorablement le Canada pour relever ces défis et poursuivre son engagement constructif dans le domaine de la recherche internationale.

M. de Kerckhove met en lumière les collaborations universitaires transnationales qui, bien que parfois politiquement délicates, contribuent significativement à la recherche et au progrès scientifique. Il reconnaît la nécessité de restrictions claires, mais met en garde contre une approche excessive de la sécurité, qui pourrait compromettre des collaborations essentielles. « Il est évident que la coopération militaire ne sera pas envisageable avec la Chine et encore moins avec l’Iran. En ce qui concerne les renseignements, cela relève du domaine du secret que nous ne partageons même pas avec nos voisins du Sud et parfois même entre nous. Mais malheureusement, avec cet aspect d’intensification de la définition de la menace, on laisse de côté des quantités de coopération qui me paraissent fondamentales, notamment dans les domaines de la médecine ou dans tous les domaines qui ont une dimension de qualité de vie, si je puis dire, dans le contexte d’une réflexion littéralement à l’échelle de la planète. » Sa position est d’ailleurs tranchée : « Je trouve que l’on panique inutilement. »

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