L’art de la réconciliation
Les œuvres d’artistes autochtones se taillent une place sur les campus universitaires. Elles enrichissent l’expérience de la population étudiante grâce à l’histoire et l’imaginaire qu’elles véhiculent.
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation annonçait ses 94 appels à l’action dont plusieurs se rapportaient à l’enseignement supérieur. Les universités ont depuis répondu présentes : modifications aux programmes, création de postes axés sur l’identité et le savoir autochtone au sein de l’administration et du corps professoral, et augmentation du nombre de bourses destinées aux étudiants autochtones. Bon nombre d’établissements ont également mis de l’avant des œuvres réalisées par des artistes autochtones qui travaillent avec divers médiums.
Faute de pouvoir présenter l’ensemble de ces créations exceptionnelles, en voici quelques-unes que nous estimons représentatives de la diversité des approches artistiques autochtones et des puissants messages qu’elles évoquent.
On n’a qu’à s’arrêter un instant devant l’architecture du Pavillon des Premiers-Peuples du campus de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) à Val d’Or pour prendre la mesure de l’importance qu’accorde cet établissement à la collaboration avec les peuples autochtones. On risquerait toutefois de se méprendre sérieusement en croyant que cet édifice dont la forme rappelle celle d’un tipi est l’unique représentation artistique d’inspiration autochtone dans l’enceinte de l’établissement. C’est plutôt le contraire puisque l’UQAT regorge d’œuvres réalisées par des artistes autochtones ou rendant hommage à cette culture.
Signée par l’artiste innu Ernest Aness Dominique, la sculpture
« Tshiashinnuat… L’Ancêtre » fait notamment partie du répertoire de l’UQAT. Celle-ci représente un chef ancêtre de la grande famille algonquienne, courageux chasseur, guerrier de la vie et brave nomade, dans ses habits traditionnels. Pour l’artiste, ce chef regardant au loin le lever du jour incarne l’espoir. Sculpté dans le bronze, ce buste symbolise les liens étroits qu’entretiennent l’UQAT et les Premiers Peuples depuis maintenant quatre décennies.
Réalisée par deux artistes du Nunavut, cette sculpture de granit de 26 tonnes, qui propose une interprétation de la mythologie inuite, accueille les spectateurs à l’entrée du stade des Lions de l’Université York. Dévoilée en 2016, l’œuvre représente un jeune joueur de soccer inuit en train d’exécuter une savate alaskane avec un crâne de morse en guise de ballon.
Ruben Komangapik et Koomuatuk Curley ont réuni un groupe d’étudiants et de jeunes artistes pour les aider à sculpter le granit selon les techniques traditionnelles, c’est-à-dire sans l’aide d’outils de calibrage ou de lignes tracées sur la pierre. Les artistes espèrent que la sculpture encouragera les jeunes inuits à persévérer dans leurs études et suscitera l’intérêt pour les traditions de leur peuple. « Cette œuvre rappelle à notre peuple qu’on peut accomplir n’importe quoi avec de la détermination », a déclaré M. Curley à la cérémonie de dévoilement.
Dans la mythologie inuite, les aurores boréales symbolisent les âmes des défunts. M. Komangapik, qu’on a pu voir dans un court documentaire sur le soccer dans l’Arctique produit en 2019, explique que, dans sa culture, « quand les lumières dansent dans le ciel, ce sont les esprits qui jouent au soccer avec un crâne de morse ». Le mot inuktitut pour l’aurore est « ᐊᖅᓴᕐᓂᖅ », ou « askarniq » – soit, en français, « joueur de ballon ».
À l’âge d’à peine cinq ans, Shirley Horn a été arrachée à sa famille et envoyée dans un pensionnat pour apprendre, dit-elle, « à vivre comme l’homme blanc ». Comme quelque 150 000 enfants autochtones, elle s’est vue coupée de sa langue, de sa culture, de sa terre et de sa communauté, tel que le voulait la politique d’assimilation du gouvernement fédéral qui a sévi pendant des décennies. Après deux ans, on l’a transférée au pensionnat de Shingwauk, à Sault-Sainte-Marie en Ontario. Celui-ci était situé à l’emplacement de l’actuelle Université Algoma, où elle a obtenu un baccalauréat en beaux-arts avant d’être nommée première chancelière de l’établissement.
Avec deux collègues, cette artiste accomplie et ardente militante a voulu rendre hommage aux anciens élèves du pensionnat par une installation, qui est exposée aujourd’hui dans l’un des pavillons principaux de l’Université. L’œuvre, « Children to Children », composée d’une structure en acier rouillé et en plexiglas, est ornée de documents historiques et de représentations artistiques de la vie des enfants autochtones du pensionnat. Chacun des quatre panneaux représente une étape de l’évolution des générations jusqu’à aujourd’hui : la vie en paix, l’assimilation et ses ravages, le travail de guérison des injustices, et enfin, la pose des assises d’un avenir rempli d’espoir. Sur chaque panneau, des centaines de petits carreaux peints par des élèves ontariens évoquent leur vision du système des pensionnats. « Nous avons parcouru tout ce chemin pour offrir un avenir meilleur à cette génération », témoigne l’artiste.
La robe rouge est devenue un puissant symbole des filles et des femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada. Le 5 mai, de nombreuses universités accrochent des robes rouges à des branches d’arbres ou à des clôtures pour souligner la Journée nationale de sensibilisation aux femmes et filles autochtones disparues et assassinées annoncée par le gouvernement fédéral. C’est ce symbole que l’artiste mi’kmaq Pauline Young a choisi lorsque l’Université Mount Allison lui a commandé une installation pour son centre étudiant. Avec « She Lights the Way », la créatrice a voulu non seulement commémorer les nombreuses vies emportées par la violence, mais aussi inspirer l’espoir et la guérison.
« Je rêve qu’un jour, tout le monde saura ce que représente la robe rouge et prendra conscience de l’ampleur des disparitions et des meurtres de filles et de femmes autochtones partout sur l’Île de la Tortue », a déclaré Patty Musgrave-Quinn, coordonnatrice aux affaires autochtones à l’Université Mount Allison, lors du dévoilement.
« J’espère qu’éventuellement, ça devienne un sujet de conversation dans notre quotidien, que les gens suivent les pages Facebook sur les femmes et filles autochtones disparues ou assassinées et diffusent leurs photos; qu’ils fassent pression auprès des forces de l’ordre à tous les paliers afin que cette crise soit prise au sérieux. Le temps est venu de s’informer, de se conscientiser et d’unir nos forces pour être entendu et progressivement diminuer – jusqu’à zéro – le nombre de victimes. »
Depuis 2012, un arbre du Parc écologique du Millénaire, situé à proximité du Pavillon Pierre-Amand-Landry de l’Université de Moncton, arbore un grand masque sculpté à même le tronc par l’artiste Edward
« Ned » Bear. L’œuvre « Pakawan », réalisé il y a 10 ans par l’artiste wolastoquiyik et cri des Plaines dans le cadre du Symposium d’art nature qui a eu lieu à Moncton, serait l’incarnation « d’un guide spirituel, êtres incorporels du folklore autochtone qui guident par le biais de voyages spirituels dans des mondes cachés, aperçus parfois en vision, en rêves ou par expériences aux frontières de la mort ».
D’ailleurs, l’interprétation contemporaine de la tradition spirituelle autochtone de M. Bear est un trait distinctif de ses masques sculptés à la main ou ses silhouettes de marbre et de calcaire. Reconnu à l’échelle internationale, M. Bear a notamment occupé un poste d’enseignant-chercheur à l’Institut Smithsonian de New York en 2006.
Depuis six ans, une ourse taillée dans le granit se tient dans la cour du campus nord de l’Université de l’Alberta. Cette création de Stewart Steinhauer, sculpteur sur pierre autochtone, est la première d’une série de quatre œuvres exprimant la volonté de réconciliation de l’établissement. « L’ourse nous rappelle que nous sommes tous liés par des traités », a déclaré David Turpin, alors recteur de l’Université, à l’occasion du dévoilement. « Elle symbolise nos relations. Sur son flanc, on peut lire cette inscription : “We Are All Related”. »
M. Steinhauer a travaillé durant deux étés à cette sculpture de plus de six tonnes. « Je travaille dehors avec une méthode dite d’attaque, très différente de celle de la plupart des autres sculpteurs; comme je ne pars pas d’une esquisse ou d’une maquette, je peux achever mes projets plutôt vite », explique-t-il, ajoutant que c’est l’intuition et l’émotion qui dictent la complétion de ses sculptures.
Les quatre « lois des herbes sacrées » sont gravées à l’avant de la sculpture : humilité dans la bienveillance, partage, honnêteté et force.
« Ces valeurs sont très importantes pour les gens qui, comme moi, vivent dans le territoire visé par le Traité numéro six », précise le sculpteur.
A priori, l’idée d’installer une grande murale aux couleurs vives dans un gymnase peut sembler quelque peu étrange. C’est pourtant où on peut trouver l’œuvre qu’a faite l’artiste anishinaabe-oyate Kristin Flattery. Située en face du service à la clientèle du Centre sportif de l’Université du Manitoba, la murale retrace l’histoire de la création transmise de génération en génération par la tradition orale des Ininew (Cris), des Anishinaabe et des Oyate (Dakota). Par des traits de couleurs vives, l’artiste a illustré des références aux sports traditionnels, comme la crosse. Son œuvre redéfinit le conflit comme régénérateur et met en lumière l’importance centrale des relations dans le processus de la création.
« Nous voulions que la murale incite à adopter un mode de vie sain, explique-t-elle. En plus d’en faire la promotion sous l’angle de notre savoir traditionnel, j’ai voulu stimuler l’esprit d’équipe et d’entraide au sein de la société. »
Le mythe de la création qu’elle a représenté dans son œuvre tourne autour d’un déluge, comme dans l’histoire de l’arche de Noé. Mais, à la grande différence du catholicisme, la culture autochtone raconte que le monde a été construit à partir d’un petit morceau de terre grâce aux efforts conjugués de plusieurs animaux, mettant l’accent sur l’importance des relations dans le processus de création.
Dans de nombreuses cultures autochtones, le cycle lunaire est un important marqueur du passage du temps. C’est ce qui a inspiré la création d’un ensemble de sculptures sur pierre qui orne maintenant le foyer de la galerie Gordon Snelgrove à l’Université de la Saskatchewan. Sur 13 marches d’escalier en ardoise récupérées du pavillon Thorvaldson, un bâtiment centenaire, sont gravés en écriture syllabique crie les noms traditionnels des 13 lunes du calendrier lunaire des peuples autochtones.
L’œuvre est le fruit du travail de trois artistes de l’Université : Vanessa Hyggen, adjointe de direction du vice-doyen aux affaires autochtones; Sandy Bonny, chef d’équipe d’initiatives pour la réussite des étudiants autochtones et le programme d’accès à la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques; et Lyndon Tootoosis, artiste autochtone en résidence en 2020. « L’œuvre était déjà en gestation en 2019, mais la pandémie a interrompu le travail », précise Mme Hyggen, Norvégio-Crie vivant dans le territoire visé par le Traité numéro six, au sein de la bande de Lac La Ronge. Chacune des marches a été dévoilée le jour de la pleine lune qui y est associée, entre octobre 2020 et septembre 2021. Selon l’artiste, l’installation des marches a été très bien accueillie par le public. « Les gens aiment les histoires que racontent ces marches, qui font partie du campus depuis plus d’un siècle », dit-elle.
C’est à l’occasion de la toute première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation le 30 septembre 2021 que l’Université de Sherbrooke a dévoilé l’œuvre qui orne désormais le hall principal de sa Faculté d’éducation. Christine Sioui-Wawanoloath, artiste visuelle, conteuse et poétesse abénakise-wendat, signe la toile qui s’intitule « De l’importance de bien apprendre à voler ». Abordant le thème de la transmission, le tableau montre des enfants qui déploient leurs ailes sous le regard attentif d’adultes – une symbolique qui ne risque pas d’échapper à ceux dont les yeux se poseront sur le bleu lumineux et les couleurs vives de l’œuvre.
« Pour nous, il n’y a aucun doute que les voies de la réparation avec les Premiers Peuples passent par l’éducation », a soutenu la doyenne de la Faculté d’éducation, Anne Lessard, lors du dévoilement de l’œuvre.
En plus d’être un rappel permanent de l’importance des relations avec les Premiers Peuples, le tableau a également servi de source d’inspiration pour l’environnement visuel du Plan d’action 2021-2026 pour et avec les peuples autochtones qu’a rendu public l’établissement en novembre dernier.
Le campus de l’Université Thompson Rivers à Kamloops est situé sur le territoire traditionnel non cédé des Secwépemc, qui s’étend sur une grande partie de l’intérieur de la Colombie-Britannique. Pour souligner ce fait, deux diplômés de la Faculté de droit de l’Université ont proposé en 2013 d’installer un marqueur comme ceux traditionnellement utilisés par les Secwépemc pour indiquer les frontières territoriales ou un lieu mythologique important. L’Université a commandé cette œuvre à trois artistes issus de la Nation Secwépemc : Rod Tomma, Ron Tomma et Mike Peters.
Depuis 2014, le marqueur accueille les passants à l’intérieur d’une des entrées de l’ancien pavillon principal, qui a été complètement rénové et qui abrite aujourd’hui la Faculté de droit. La structure est composée d’une rare sorte de quartz et est parsemée de pictogrammes. Alan Shaver, ancien recteur et vice-chancelier de l’Université, a dit à l’occasion du dévoilement que ce marqueur allait « nous inciter à être reconnaissants de la terre sur laquelle nous vivons et étudions, aux côtés des peuples autochtones ».
Devant le pavillon principal du campus de l’Université des Premières Nations du Canada à Regina, on peut voir sur l’herbe huit bisonnes en acier accompagnées de leur bisonneau. Peter Brass, directeur de la collection d’art de l’Université, explique que ces sculptures s’inscrivent dans le projet de galerie d’art évolutive de l’établissement, qui privilégie les œuvres de membres du corps professoral et de diplômés. L’artiste, en l’occurrence, est Lionel Peyachew, professeur agrégé en beaux-arts autochtones et Cri de la Première Nation Red Pheasant. Sur chacune des pièces, installées en 2018 et en 2019, est gravé un tipi qui rappelle l’immense structure en verre emblématique du pavillon principal du campus.
« Avant l’arrivée des Européens, il y avait des millions et des millions de bisons en Amérique du Nord, souligne l’artiste. Leur viande était la base de l’alimentation des peuples autochtones. Les tipis, les outils, les vêtements : tout provenait du bison. La présence de cet animal dans les environs était garante de la survie des peuples autochtones, c’était ce qu’elle symbolisait. Et aujourd’hui, c’est l’éducation qui est au centre des priorités des personnes autochtones. »
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