Chairs

Vous êtes sur le point de lire des arguments en faveur des détachements pour les universitaires et les administrateurs universitaires, que ce soit au sein de leur établissement ou à l’extérieur, afin qu’ils puissent assumer de nouveaux rôles. Il s’agit d’une réflexion sur trois expériences que j’ai vécues à la mi-carrière et qui m’ont appris bien plus que je ne l’aurais jamais imaginé.

Premier volet : l’administration

En 2011, après avoir travaillé pendant 20 ans comme professeure de droit à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, j’ai décidé d’accepter un poste à temps plein dans l’administration de cet établissement, en tant que vice-rectrice adjointe à la recherche. Je suis ainsi parvenue à mieux comprendre ma propre discipline avec ses perspectives et ses zones d’ombre. Ce détachement m’a amené à me poser de nouvelles questions de recherche et à élargir mon champ d’intérêt.

Cependant, sans lien solide avec l’enseignement, il est facile de perdre contact, dans une certaine mesure, avec le vécu quotidien d’un professeur ou d’un étudiant. Lorsqu’on retire complètement de l’enseignement, et pendant de longues périodes, des collègues à qui on confie des responsabilités de direction, on les prive de l’une de leurs sources essentielles d’information et d’inspiration pour leur travail à l’université.

Je me demande comment le dialogue pourrait évoluer au sein des universités si on privilégiait une culture de l’enseignement par de hauts dirigeants universitaires. Nous pourrions faire preuve de créativité quant à la forme que cet enseignement pourrait prendre – coenseignement, cours intensifs de quelques jours ou séminaires en soirée. Un objectif plus ambitieux serait de détacher des dirigeants universitaires dans l’enseignement pour la durée d’un trimestre, à quelques années d’intervalle.

Deuxième volet : le gouvernement

Pendant que j’étais en congé, j’ai accepté un poste à temps partiel à titre de conseillère spéciale au ministère des Finances de l’Ontario. En tant qu’universitaire dans le domaine de la politique budgétaire, je voulais voir de près comment se font les budgets et la législation fiscale.

Au niveau macro, ce poste m’a permis de comprendre pourquoi l’élaboration des politiques est une tâche si complexe. Les gouvernements doivent essayer d’anticiper quelles seront les retombées d’une intervention proposée sur une multitude d’intérêts, dont certains sont évidents, alors que d’autres le sont moins. Les conflits potentiels entre différents cadres réglementaires ne peuvent être évités que grâce à une collaboration approfondie au sein d’une vaste organisation. Les fonctionnaires que j’ai rencontrés étaient des gens créatifs capables de résoudre des problèmes, désireux de faire valoir leurs idées et de discuter de recherche émergente. J’ai vu que le travail qui se fait à l’université peut influencer leur courant de pensée, surtout quand il est présenté de façon succincte pour un public non spécialiste.

Le temps que j’ai passé au gouvernement m’a convaincue plus que jamais de la valeur d’écrire des articles d’opinion, des billets de blogues ainsi que d’autres courts exposés afin d’expliquer aux décideurs les activités de recherche. J’ai aussi recueilli de nombreux exemples pour aider mes étudiants à comprendre comment ce qu’ils apprennent en salle de classe se traduit en pratique, et pourquoi l’application de la loi diverge si souvent de la théorie décrite dans les livres.

Lancée par Mitacs en 2016, la Bourse pour l’élaboration de politiques scientifiques canadiennes est une initiative intéressante à examiner. Ce programme offre à des universitaires un détachement d’une durée d’un an dans des organismes fédéraux pour travailler sur des projets d’élaboration de politiques précis. (Note du rédacteur : voir l’article sur les bourses Mitacs qui se trouve aussi dans le présent numéro, à la page 36.) C’est un modèle prometteur qui pourrait être élargi à un plus large éventail de disciplines et de domaines politiques.

Troisième volet : l’échange institutionnel

Au milieu de 2015, je suis devenue doyenne par intérim de la faculté de droit Bora Laskin, ouverte deux ans plus tôt à l’Université Lakehead. Ce rôle a été l’occasion de vivre l’une des expériences les plus inattendues et les plus enrichissantes de ma carrière. J’ai aussi beaucoup appris sur de nombreux sujets, notamment sur les enjeux auxquels font face les collectivités du Nord en ce qui touche le développement des ressources et la réconciliation entre les Canadiens autochtones et non autochtones; le rôle crucial que jouent les universités de petite taille dans les économies locales et pourquoi on aurait tort de concevoir une politique de l’enseignement supérieur uniquement en fonction des besoins des établissements urbains de grande taille; et l’enthousiasme que suscite le fait de participer à un programme de démarrage, avec ses idées novatrices et son énergie entrepreneuriale.

Ce détachement à Thunder Bay m’a fait comprendre l’importance que peut avoir le lieu de travail, et m’a donné une nouvelle perspective de la particularité culturelle de ma propre pensée en tant que professeure de droit à Toronto, universitaire urbaine non autochtone.

Les détachements et les échanges ne conviennent pas à tout le monde. Ce genre d’exploration peut faire dévier pour quelque temps de la voie de la recherche fondamentale qui est la raison d’être des universités, mais, pour les personnes qui sont tentées, l’expérience sera source d’enseignements utiles et d’idées pouvant être intégrées aux programmes et aux activités de recherche par la suite.

Lisa Philipps est professeure à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York.

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