Les bureaux des affaires étudiantes s’adaptent aux parents hélicoptères

Les professionnels des services aux étudiants peuvent tenir pour acquis que les parents insisteront pour intervenir dans la vie universitaire de leurs enfants.

05 avril 2017
Illustration par Jeff Östberg.

John Hannah dit en riant que ses enfants vont malheureusement atteindre très bientôt « l’âge de faire des études postsecondaires ». Ce père de deux enfants verra sous peu ses adolescents commencer le voyage passionnant, mais souvent bureaucratique et stressant, des inscriptions à l’université. M. Hannah doit prendre une décision difficile : jusqu’à quel point devrait-il leur tenir la main, les guider et les soutenir pendant cette étape charnière vers l’âge adulte?

En tant que directeur de projets spéciaux aux affaires étudiantes à l’Université Ryerson, il est tout à fait en mesure de leur prêter main-forte. M. Hannah a passé plus de 15 ans dans le milieu de l’enseignement supérieur, principalement dans des postes aux affaires étudiantes, dans lesquels il aidait les enfants des autres à surmonter les hauts et les bas de leur première grande aventure hors du nid familial. Pour tous les aspects concernant la vie universitaire, M. Hannah est un expert. Il a calmé les nerfs de plus d’un parent pris de panique après le départ pour l’université de son bébé adoré.

Il peut être épineux pour un étudiant d’avoir à remplir d’intimidantes demandes qu’il faut présenter dans des délais prescrits pour préparer un parcours d’études, alors même qu’il n’a pas encore eu son premier cours, et ça se complique quand il doit commencer à étudier et à obtenir de bonnes notes.

« Effectivement, les parents aident davantage leurs enfants adultes à s’orienter dans le système universitaire », dit M. Hannah. Il y a des années, c’est avec un soupir un peu ennuyé que j’aurais rencontré ces parents. J’aurais essayé de leur expliquer que ce n’est pas une bonne idée de priver leurs enfants de la croissance et de l’apprentissage qui s’effectuent quand on doit se débrouiller seul. J’aurais insisté en faveur de l’autonomie de l’étudiant. […] Je crois toujours fermement à cette idée, mais maintenant que je suis moi-même dans cette situation, j’ai beaucoup plus de sympathie pour les parents et je comprends mieux les dilemmes auxquels ils font face. »

Il y a beaucoup d’expressions idiomatiques pour décrire les parents d’aujourd’hui qui s’investissent ainsi : tondeuse à gazon, bulldozer, chasse-neige, mais l’expression consacrée pour décrire les parents surprotecteurs qui tournoient constamment autour de leurs enfants est « hélicoptère ». Ils sont les gardiens bien intentionnés qui surveillent métaphoriquement d’en haut les faits et gestes de leurs enfants pour les guider en toute sécurité vers l’âge adulte.

Selon les conseillers aux affaires étudiantes, l’attitude du parent « hélicoptère » au niveau postsecondaire ne peut plus être abordée de la même façon qu’il y a 10 ou 15 ans. Les parents interviennent, point à la ligne; qu’il s’agisse de soutenir leurs enfants financièrement, émotionnellement ou sur le plan scolaire, rien ne peut les arrêter.

Ainsi, les universités se sont vues contraintes de rajouter maman et papa à la liste des intervenants. « Par le passé, les parents déposaient leurs enfants et à partir de là les [bureaux des affaires étudiantes] prenaient la relève, explique M. Hannah. Mais ce n’est plus le cas. Maintenant, nous travaillons avec les parents, nous leur faisons une place. »

À l’Université Ryerson, le travail de M. Hannah recoupe celui des services du logement, des services de carrière, de la santé et du bien-être, du soutien à l’apprentissage et de la vie étudiante. L’université offre de nombreux services, allant des conseils en ligne pour les parents qui ont des préoccupations à propos de leurs enfants jusqu’à un bulletin périodique que l’université a commencé à envoyer aux parents l’année der-nière. L’Université organise également des séances d’information pour les parents et les tuteurs. On y présente entre autres un aperçu de ce à quoi les parents devraient s’attendre au cours de la première année d’études de leur enfant, un exposé sur les politiques et les procédures de l’établissement, y compris les dispositions sur la confidentialité.

« Il s’agit d’atténuer les premières angoisses, avant même que leur enfant ne décide peut-être d’aller vivre en résidence universitaire », explique Brandon Smith, directeur de la vie en résidence et de l’éducation à l’Université Ryerson. « Nous parlons aussi de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, qui établit des règles sur la façon dont les institutions et le gouvernement traitent les renseignements personnels des citoyens canadiens, y compris les renseignements qui peuvent être recueillis et ceux qui peuvent être divulgués à des tiers. Une fois que l’enfant atteint l’âge de 18 ans, le parent ou le tuteur n’a plus de droit d’accès à certains de ses renseignements personnels.

« Je souhaite offrir aux parents de l’information pour qu’ils puissent comprendre comment aider leur enfant sans l’étouffer. Et nous pensons que cela fonctionne, affirme M. Smith, ajoutant qu’à l’occasion, lorsqu’un parent nous appelle et veut avoir accès à des renseignements personnels concernant son enfant, nous lui répondons avec empathie, sans porter de jugement, en expliquant que l’Université ne peut pas communiquer de renseignements personnels. Mais nous allons voir l’étudiant en question pour l’informer que son parent est inquiet. Nous encourageons l’étudiant à communiquer avec sa famille », dit-il.

M. Smith et M. Hannah s’entendent pour dire que la hantise associée aux parents hélicoptères — quand ils appellent l’établissement au sujet des progrès scolaires de leur enfant, plaident pour de meilleures notes auprès des professeurs et remettent en question le travail en classe — est plus l’exception que la règle. « Je dois dire que je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai eu une discussion avec un parent agressif essayant de s’immiscer dans la vie d’un étudiant. Je suis sûr qu’il en existe, mais je pense que le stéréotype dépasse la réalité », indique M. Hannah.

« Les parents ont des soucis légitimes, qui ne concernent pas toujours les notes. Nous sommes devenus beaucoup plus conscients, au niveau national, des problèmes de santé mentale chez les jeunes, ainsi que des problèmes de violence et de sécurité sur les campus, ajoute M. Smith. Il suffit de penser à l’importance accordée à ces questions dans les médias. Être conscient de ces problèmes pour pouvoir les aborder en tant que parents, étudiants et administrateurs est une bonne chose, mais des si-gnaux d’alarme se déclenchent dans l’esprit des parents, et je comprends parfaitement qu’ils veuillent s’assurer que leur enfant est heureux, en bonne santé et en sécurité quand il va à l’université. »

L’Université Ryerson est loin d’être le seul établissement à traiter les parents comme des intervenants égaux dans l’éducation de leurs enfants. L’Université Queen’s organise également des soirées d’information pour les parents et consacre une partie de son site Web aux questions et préoccupations des parents. L’Université Simon Fraser, l’Université de Calgary, l’Université de Toronto, l’Université Bishop’s, l’Université McMaster et l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, pour n’en citer que quelques-unes, ont des positions semblables.

Sans l’attribuer à l’essor du phénomène des parents hélicoptères, l’Université Laval a aussi une section entièrement réservée aux parents sur son site Internet depuis environ cinq ans. « Ça ne semble pas être présent ici. On ne reçoit pas d’appel des parents qui veulent à tout prix tout savoir sur leur enfant. C’est une étape importante dans la vie de leur enfant, donc on pense que les parents ont des questions et souhaitent savoir comment ça fonctionne. On voit qu’ils sont intéressés, mais ce n’est pas un intérêt qui est malsain », souligne Andrée-Anne Stewart, conseillère en communications de l’établissement.

La particularité du système d’éducation québécois n’est sans doute pas étrangère au fait que le phénomène soit moins présent dans la Belle Province. « Au Québec, la situation est différente. Les jeunes vont au cégep et ils arrivent à l’université souvent en tant qu’adultes. Par leur passage au cégep, les jeunes font une année de plus [avant d’arriver à l’université] que les jeunes des autres provinces. C’est peut-être une raison qui pourrait expliquer qu’on n’a pas de cas majeur de parents hélicoptères », constate Mme Stewart.

Illustration par Jeff Östberg.

Linda Quirke, professeure agrégée de sociologie à la faculté des arts de l’Université Wilfrid Laurier, affirme qu’il y a divers facteurs sociologiques, culturels et économiques qui expliquent qu’aujourd’hui les parents interviennent davantage dans l’éducation de leurs enfants qu’il y a 10 ou 20 ans. « Les normes parentales changent », dit-elle.

Selon Mme Quirke, la première moitié du siècle dernier était une période caractérisée par le détachement émotionnel des parents. On leur avait conseillé de mettre l’accent sur l’hygiène et de ne pas trop jouer avec leurs enfants. « Le but était de les garder en vie. C’était ça être de bons parents », soulignet-t-elle.

Selon les normes de la société de l’époque, si les enfants avaient quitté le nid familial à la fin de l’adolescence et travaillaient pour subvenir à leurs besoins, maman et papa avaient bien fait leur travail. Dans les années 1960, les experts se sont davantage intéressés au fonctionnement du cerveau chez l’enfant et à la manière de s’occuper de lui en tant qu’individu. Néanmoins, on considérait que les parents avaient rempli leur rôle dès qu’un enfant avait atteint l’âge de voter.

« Dans les années 1980, on assiste à un nouveau changement dans la façon d’élever les enfants. Les parents ont alors des horaires plus souples et disposent de revenus qui leur permettent d’inscrire leurs enfants à de nombreuses activités telles que des camps de sport, de lego ou de robotique. La parentalité met l’accent sur le développement cognitif chez l’enfant, dit-elle, ajoutant que les tendances actuelles en matière de rôle parental indiquent que nous nous dirigeons vers une ère de “surveillance intense”. »

La société répète sans cesse que, aujourd’hui, un bon parent (un excellent parent), « doit faire entrer son enfant à l’université », dit Mme Quirke. M. Hannah est d’accord : « À présent, les parents sont censés s’occuper de leurs enfants bien au-delà de l’adolescence. Certains parents ressentent un sentiment d’échec si leurs enfants n’ont pas réussi leurs études postsecondaires. »

Cela impose aux parents des pressions que Janice Paskey, professeure de journalisme à l’Université Mount Royal, connaît bien. Avec un enfant en première année à l’Université Concordia et un autre qui termine son secondaire et doit décider quel sera son cheminement, Mme Paskey constate à quel point le système est compliqué pour les étudiants.

« Les universités sont des bureaucraties vraiment compliquées et si les parents s’en mêlent, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont des parents hélicoptères. C’est parce qu’ils essaient de comprendre un système très complexe et d’aider leur enfant, dit-elle. Les études coûtent plus cher que jamais. […] Et quand, comme c’est souvent le cas, ce sont les parents qui paient, comment pourraient-ils ne pas s’investir? »

Lorsque le fils aîné de Mme Paskey s’est qualifié l’année dernière pour une bourse d’études du gouvernement de l’Alberta, il était ravi à l’idée de recevoir plusieurs milliers de dollars. Son université devait simplement confirmer qu’il était bien un étudiant de l’établissement. Mais, il y a eu un problème de communication entre son université et le bureau des bourses d’études.

« Mon fils m’a appelée pour me dire que le bureau [des bourses] l’avait informé que son université n’avait aucune trace de son inscription. Il était alors en première année, en pleine période d’examens de mi-trimestre. Que me restait-il à faire? », demande Mme Paskey. Elle a immédiatement téléphoné aux deux organisations pour qu’elles communiquent entre elles.

Mme Paskey ajoute qu’elle fait attention à ne pas dépasser certaines limites pour ne pas aller trop loin. Elle encourage son fils aîné à utiliser les ressources disponibles dans son université pour obtenir de l’aide dans la rédaction de dissertations et pour le choix de ses cours.

En tant que professeure, Mme Paskey est bien consciente aussi de la manière dont les parents hélicoptères peuvent faire déraper les choses. « On a mené des recherches sur les taux de rétention des étudiants dont les parents interviennent trop, comme les parents qui choisissent la majeure de leurs enfants ainsi que leurs cours […] fréquemment on ne revoit plus ces étudiants en deuxième année parce qu’ils ne se sont pas personnellement investis, dit-elle. À titre d’éducatrice, j’aimerais dire aux parents : si vos enfants ne prennent pas l’initiative eux-mêmes, c’est qu’ils ne sont pas prêts à faire des études postsecondaires. »

Selon Mme Quirke, du fait que de nombreux parents d’enfants de la génération du millénaire ont fréquenté eux-mêmes une université ou un collège, ils sont beaucoup plus susceptibles de continuer à aider leurs enfants adultes au cours de leurs études au premier cycle et au-delà. Ils comprennent les défis que doivent relever leurs enfants et ils peuvent les orienter et leur offrir des conseils tangibles, alors que les générations qui les ont précédés n’auraient peut-être pas pu le faire.

« Les parents ont acquis un sens aigu des responsabilités, affirme Mme Quirke. Ils ont perfectionné leurs réflexes pour être prêts à intervenir et à aider […] et ce n’est pas une habitude facile à perdre.

Je dois dire que j’ai eu beaucoup de chance; je n’ai jamais eu de pa-rents hélicoptères dans mon bureau me demandant de donner à leur enfant un traitement de faveur ou une meilleure note, dit-elle. Je pense qu’ils conseillent peut-être leurs enfants en coulisse, sans pour autant faire irruption dans les salles de classe.

Parallèlement, les jeunes adultes ne repoussent pas leurs parents pour affirmer leur indépendance, comme les générations précédentes l’avaient fait, précise Mme Quirke. Les enfants de la génération du millénaire sont, semble-t-il, beaucoup plus ouverts avec leurs parents que ne l’étaient les générations Y, X ou les baby-boomers. Ils voient leurs parents comme des amis et des confidents. »

M. Smith va plus loin en disant que si les étudiants ne coupent pas le cordon ombilical aussi rapidement que la génération précédente c’est à cause du rôle joué par la technologie. « Maintenant, si un parent a besoin de parler à un enfant qui a quitté le nid familial pour aller aux études, il n’attend pas qu’il le rappelle sur un téléphone fixe. Il lui envoie juste un texto. Les familles peuvent être en contact constant », dit-il.

Cependant, les professionnels des affaires étudiantes doivent se rappeler que ce ne sont pas tous les étudiants qui peuvent compter sur un soutien familial qui va les guider dans les méandres complexes des études au premier cycle. « Nous sommes habitués à voir des étudiants qui bénéficient de plus de soutien que dans les années 1990 et qu’il y a dix ans, dit M. Hannah. Mais nous ne pouvons pas oublier que les Affaires étudiantes ont un rôle à jouer dans la vie de nombreux étudiants qui ont besoin de leurs services. Nous devons rendre les règles du jeu plus équitables pour les étudiants qui n’ont pas de soutien parental », conclut-il.

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