Logement étudiant : une crise qui fragilise tout
Face à une pénurie de logements sans précédent, les personnes étudiantes canadiennes et internationales sont confrontées à une crise qui met à mal leur bien-être et leurs études. Toutefois, des partenariats innovants entre universités, gouvernements et acteurs privés offrent un espoir pour des solutions durables
Au Canada, la crise du logement ne fait pas de quartier. Les personnes étudiantes à l’université en sont particulièrement touchées. D’un océan à l’autre, elles bataillent en quête d’un habitat abordable et qui répond à leurs besoins, avec des conséquences qui vont bien au-delà de la simple commodité.
Cette année, la question de l’hébergement a joué les trouble-fêtes lors d’une rentrée scolaire déjà plombée par la chute drastique du nombre de personnes étudiantes provenant de l’étranger. « On s’attendait bien à ce que la question du logement soit un sujet parmi d’autres, mais pas le sujet principal des discussions » note Andrew Parr, vice-recteur associé au logement étudiant et aux services à la communauté de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC). « En réalité, ce n’est pas uniquement une crise universitaire. Ce n’est pas une crise en Colombie-Britannique ou à UBC, c’est une crise nationale », ajoute-t-il. En Alberta, bien que l’Université de Calgary (U de C) dispose de 3 000 places locatives, elle a dû inscrire plus de 1 000 personnes étudiantes sur la liste d’attente. Pour Shane Royal, son directeur principal des services auxiliaires, la crise a pris de l’ampleur ces dernières années : « Avant la COVID, nous n’avions pas de listes d’attente ou quoi que ce soit de ce genre dans notre établissement. Les choses ont commencé à s’intensifier, et depuis deux ans, nous avons des listes d’attente assez longues, atteignant jusqu’à 1 000 personnes ». Au cours du mois de septembre, alors que les salles de classe étaient déjà remplies, la liste d’attente comprenait toujours 48 noms. « Les chiffres ont baissé car l’Université appelait les gens pour leur dire qu’ils n’auront probablement pas de place sur le campus, et qu’ils devraient aller voir ailleurs », précise Mateusz Salmassi, vice-président externe de l’Union des étudiants de l’U de C.
Une vieille crise en gestation
Louis Gaudreau, sociologue et professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), explique que la crise du logement était déjà en gestation depuis une vingtaine d’années, et « a tout simplement pris une forme beaucoup plus aiguë » depuis deux ou trois ans. Selon lui, au Canada et plus particulièrement au Québec, les racines du problème n’est pas uniquement la pénurie actuelle d’habitations, comme on pourrait le croire. Le véritable enjeu qui a émergé est celui de l’abordabilité, bien avant que la disponibilité ne devienne une question centrale. « La montée fulgurante des prix a débuté dans un contexte où il n’y avait pas de pénurie de logements, une situation largement alimentée par un afflux massif de capitaux dans le marché immobilier, notamment par les banques », explique-t-il. Un sondage réalisé cette année par la Student Housing Initiative appuie les propos de M. Gaudreau ; 60 % des personnes étudiantes interrogées ont déclaré que le loyer hors campus n’était pas abordable.
« Les personnes étudiantes sont beaucoup plus stressées. Cela fait longtemps qu’elles n’ont plus seulement à s’inquiéter des examens. Maintenant, beaucoup d’entre elles arrivent en cours affamées parce qu’elles dépensent tellement d’argent pour le loyer et les frais de scolarité qu’elles ne peuvent pas se permettre de manger suffisamment », constate M. Salmassi. Place alors aux compromis : certaines choisissent de sacrifier leur sécurité pour vivre à proximité du campus, tandis que d’autres sont contraintes de s’installer dans des quartiers éloignés mal desservis par les transports en commun. Cette situation entraîne des trajets quotidiens pouvant atteindre une heure et demie, voire deux heures, compliquant la conciliation entre études et vie sociale.
« Les personnes étudiantes sont beaucoup plus stressées. Cela fait longtemps qu’elles n’ont plus seulement à s’inquiéter des examens ».
La situation n’est pas propre à la ville de Calgary. Une étude réalisée par la banque Desjardins révèle qu’au niveau national, la qualité et la sécurité des logements disponibles préoccupent les personnes étudiantes et leur famille. De plus, le poids financier les pousse souvent à avoir recours à des prêts et à d’autres formes d’endettement. Toujours selon l’institution québécoise, en 2020, la dette moyenne d’une personne diplômée de niveau collégial atteignait 16 700 $, tandis que celle des bachelières et bacheliers universitaires s’élevait à 30 600 $. La récente hausse des taux d’intérêt a alourdi les mensualités de remboursement, dans un contexte marqué par une inflation élevée, touchant particulièrement des dépenses essentielles comme le logement et l’alimentation, ce qui complique davantage la gestion du budget de ces jeunes adultes.
Logement hors campus, un mal nécessaire
Les personnes étudiantes se retrouvent sur le marché locatif hors campus au même titre que les autres catégories de la population non pas par choix, mais par nécessité, faute de places disponibles en résidences universitaires. Ainsi, elles passent cette précieuse étape de leur vie sans pouvoir faire pleinement partie de la dynamique communauté qui vit sur les campus, et qui leur permet de mieux s’épanouir, de nouer des relations personnelles et universitaires de qualité, et de bénéficier de tous les avantages que la vie sur le campus peut offrir. D’après un sondage récent de Bonard, une société internationale spécialisée dans les études de marché, mentionné dans l’étude de Desjardins citée précédemment, le nombre de places dans de telles résidences ne correspondait qu’à 10,3 % du nombre total d’étudiantes et d’étudiants inscrits, alors qu’il devrait dépasser 60 % selon ses experts. La ville de Waterloo en Ontario, championne canadienne en la matière, peut accueillir dans ses résidences universitaires plus de 35 % des personnes inscrites à l’université. Pourtant, d’après le comité municipal chargé des relations entre la ville et l’université, 63 % des personnes sondées éprouvaient des difficultés à trouver un logement, et 45 % ont noté que leurs dépenses étaient plus élevées qu’anticipé.
De ce fait, les personnes étudiantes se retrouvent à la merci des propriétaires d’appartements ou de studios près des universités qui n’hésitent pas à profiter de leur vulnérabilité pour augmenter les prix. « À Montréal par exemple, s’est développé un marché immobilier résidentiel spécialement conçu pour les étudiants, notamment ceux venant d’autres provinces ou pays. Ce marché est souvent beaucoup plus cher que celui des logements familiaux ou des logements dans d’autres quartiers », note M. Gaudreau, qui observe de près le marché locatif du centre-ville de la métropole québécoise où se situent les campus de l’UQAM, de l’Université McGill et de l’Université Concordia. Pendant la pandémie, certains propriétaires ont même préféré ne pas louer en attendant le retour des étudiants et étudiantes en provenant de l’étranger, car ces personnes représentent une clientèle lucrative.
Même son de cloche à Calgary, où les étudiantes et étudiants internationaux et issus de communautés marginalisées sont souvent laissés à eux-mêmes. M. Salmassi souligne que ces personnes sont particulièrement vulnérables, car beaucoup d’entre elles n’ont pas de réseau de soutien sur place. Sans famille au Canada, et souvent novices en matière de location, elles sont plus susceptibles de tomber dans des pièges ou d’accepter des conditions de logement inadéquates. Il évoque notamment des cas où 15 personnes cohabitent dans une maison avec seulement deux salles de bains et une cuisine, une situation insécuritaire et insalubre. Certaines se disent pourtant « chanceuses » de payer 650 $ pour une chambre, malgré le fait qu’elles doivent partager leur espace de vie avec d’autres camarades de l’université. Cette précarité ne se limite pas à celles et ceux provenant de l’étranger : environ 9 % des personnes étudiantes originaires de Calgary vivent dans des logements insalubres, rapporte M. Salmassi. Cette situation affecte également les personnes queers, rejetées par leur famille, qui peinent à trouver des options de logement sécuritaires et abordables.
Andrew Parr, de UBC, est conscient que la question du logement représente un enjeu de survie pour les universités : « Les personnes étudiantes prennent des décisions quant à l’endroit où étudier en fonction de la disponibilité de logements abordables, sûrs et proches, et non pas en fonction du programme académique ou de l’université qu’elles veulent fréquenter. Donc, si une région ou une institution n’a pas de logement, elles iront ailleurs. C’est définitivement une préoccupation majeure ».
L’UTILE vise à lancer entre 600 et 800 nouveaux logements étudiants par an dans les prochaines années, une ambition importante pour le Québec, bien que cela ne suffira pas à répondre à tous les besoins. L’objectif principal de l’organisme est de rééquilibrer les grands marchés urbains et d’intégrer cette augmentation de l’offre dans une stratégie plus large de résolution de la crise du logement. L’UTILE sensibilise les gouvernements à l’importance de cette initiative, qui permet de libérer des logements sur le marché locatif général. Inspiré par des modèles européens, l’organisme cherche également à étendre son approche à but non lucratif dans d’autres provinces canadiennes, se positionnant comme une alternative efficace entre les résidences institutionnelles et le logement privé.
Redonner aux campus leur lustre d’antan
Cependant, les universités sont conscientes aujourd’hui de la centralité de la question du logement dans le cadre de leurs plans d’expansion et d’élargissement de leurs effectifs étudiants. M. Royal, de l’U de C, explique que l’institution avait entamé l’année dernière l’élaboration d’un plan de logement pour anticiper les besoins des 7 à 10 prochaines années, alors qu’elle s’apprête à accueillir 10 000 personnes étudiantes de plus à l’horizon 2030. « Nous avons examiné la croissance des inscriptions et les besoins en logements étudiants, » a-t-il déclaré, précisant que les premières étapes de la planification étaient maintenant achevées. Il a ensuite indiqué que l’université est passée à la phase de conception et de budgétisation des futurs bâtiments. Bien qu’il n’ait pas pu donner de détails précis à ce stade, il a assuré que des projets concrets étaient en cours pour répondre aux besoins futurs en matière de logements, en accord avec les objectifs d’inscription de l’université.
Plus à l’ouest, en Colombie-Britannique, UBC prévoit d’améliorer l’accès des personnes étudiantes à des logements abordables sur le campus de Vancouver grâce à la construction d’un nouveau complexe résidentiel. Ce projet, d’une valeur totale de 559,9 millions de dollars, bénéficie du soutien du gouvernement provincial à hauteur de 300 millions, le reste étant financé par l’université. Il s’agit de la contribution la plus importante de la province à un seul projet immobilier dans l’histoire de l’université. « Une leçon que nous avons apprise, et qui n’est pas directement liée aux développements eux-mêmes, c’est que plus nous construisons et plus la qualité des environnements que nous construisons est élevée, plus les étudiants veulent y vivre », souligne M. Parr.
Dans son plan Campus Vision 2050, une version actualisée de la vision 2010, le logement occupe une place majeure. Les personnes étudiantes, le corps enseignant, le personnel et la communauté environnante ont été très impliqués dans les consultations. Les retours d’informations se concentraient massivement sur le logement, tant pour les personnes étudiantes que pour le corps enseignant et le personnel. Ces derniers recherchent également un logement abordable, car UBC est entourée de certains des biens immobiliers les plus chers du pays. M. Parr admet que ces ambitions croiseront sans doute le fer à de nombreux obstacles : « Le défi majeur est l’augmentation des coûts de construction. Juste avant la COVID, nous construisions à un coût d’environ 130 000 à 150 000 dollars par lit. Aujourd’hui, ce coût a plus que doublé pour atteindre plus de 300 000 dollars par lit ». Face à cette situation, il souligne l’importance cruciale de l’appui gouvernemental, notamment l’investissement de 300 millions de dollars sous forme de subventions pour le nouveau projet de logements étudiants. Cet effort, combiné à celui de l’université, permettra l’addition de 1 500 lits. L’augmentation des coûts complique la viabilité financière des projets, car les revenus générés par les loyers ne peuvent pas suivre cette hausse. Il explore également des solutions alternatives, notamment des partenariats avec des promoteurs tiers ou avec les Premières Nations Musqueam, pour construire des logements sur leurs terres. Malgré ces défis, M. Parr reste convaincu que le modèle interne de gestion des logements de UBC, qui consiste à construire, exploiter et posséder ses résidences, reste le plus adapté pour l’université.
« Les personnes étudiantes prennent des décisions quant à l’endroit où étudier en fonction de la disponibilité de logements abordables, sûrs et proches, et non pas en fonction du programme académique ou de l’université qu’elles veulent fréquenter. Donc, si une région ou une institution n’a pas de logement, elles iront ailleurs ».
Les associations étudiantes mettent aussi la main à la pâte. L’Union des étudiants de l’U de C collabore avec la plateforme places4students.com pour faciliter la mise en relation des étudiantes et étudiants avec des propriétaires locaux, tout en promouvant cette initiative auprès des Calgariens. Sur le plan politique, l’Union a joué un rôle clé dans l’adoption d’une nouvelle stratégie de logement pour la ville, incluant un amendement de 25 millions de dollars pour des logements étudiants au centre-ville. « C’est un pas dans la bonne direction », affirme M. Salmassi. Cependant, malgré des fonds fédéraux alloués à la construction de logements, aucun investissement du gouvernement de l’Alberta n’a encore été réalisé.
De retour au Québec, l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) représente un exemple parfait des partenariats qui contribuent à absorber les effets de la crise du logement. Organisme à but non lucratif fondé en 2013, l’UTILE s’engage à développer des logements étudiants abordables et durables dans les centres urbains, où la pénurie de logements est particulièrement aiguë. En collaboration avec des universités, des municipalités et des partenaires privés, l’UTILE a déjà concrétisé plusieurs projets dans plusieurs villes de la Belle province.
« Nous sommes développeurs, opérateurs et propriétaires. Nous offrons un service clé en main, car nous gérons l’achat du terrain, le financement, le développement, la construction et la gestion. Donc c’est vraiment un modèle à 360 degrés », explique Laurent Levesque, président-directeur général de l’UTILE. Sa vision repose sur deux éléments : d’abord, l’abordabilité initiale. Les logements doivent être en dessous du prix du marché, en particulier pour les nouvelles constructions, et adaptés au budget des personnes étudiantes. Ensuite, la pérennité de l’abordabilité est tout aussi essentielle. Les augmentations de loyers sont limitées au minimum, généralement entre 2 et 3 pour cent par an, bien en dessous des hausses du marché, qui peuvent atteindre 15 pour cent.
L’organisme travaille actuellement sur 1 500 logements en développement à Montréal, Québec, mais aussi à Sherbrooke, Trois-Rivières, Rimouski, et d’autres villes au Québec.
M. Levesque tient à souligner le rôle essentiel des partenariats diversifiés pour répondre aux besoins en logement des populations étudiantes. Selon lui, il est normal que les universités adoptent différentes stratégies, mais celles qui choisissent de collaborer en partenariat sont des alliées naturelles pour son organisation. Il observe d’ailleurs une tendance croissante parmi les grandes universités québécoises, membres de son organisme, à reconnaître qu’elles ne peuvent pas tout gérer seules.
Ainsi, la crise du logement étudiant au Canada souligne l’importance cruciale d’adopter une approche collaborative entre les universités, les gouvernements et les acteurs privés. Alors que les défis d’abordabilité et de disponibilité continuent de fragiliser le bien-être des personnes étudiantes, ces partenariats innovants offrent une lueur d’espoir pour des solutions durables. Des efforts supplémentaires restent nécessaires pour redonner aux campus leur fonction première : être des espaces d’apprentissage, de développement personnel et de vie communautaire pour toutes et tous.
Selon le sociologue et professeur à l’UQAM Louis Gaudreau, au début des années 2000, les investissements bancaires dans l’immobilier résidentiel ont quintuplé, passant de 400 milliards à 2000 milliards de dollars, créant un déséquilibre entre l’offre de capitaux et les opportunités d’investissement. Cette pression financière a contribué à une explosion des prix et à la relance de la construction dans les grands centres urbains, exacerbant la crise actuelle du logement, où la construction seule ne suffira pas à résoudre le problème sans une régulation des prix.
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