Comment composer avec la « cruauté de la supervision »

Malgré toutes les bonnes intentions du monde, nos interactions avec nos superviseur.e.s peuvent engendrer stress, culpabilité et angoisse.

08 avril 2024

« Elle m’a fait pleurer. Je ne l’ai pas laissée voir ça… Elle m’a dit : “Les gens ne pensaient pas que j’arriverais à devenir professeure. J’essaie juste de t’aider à t’endurcir. Tu n’es pas encore assez forte pour réussir dans le milieu universitaire”. »

Malgré leurs bonnes intentions, nos superviseur.e.s peuvent nous faire souffrir énormément. Si c’est votre cas, vous n’êtes pas seul.e. Mais que pouvez-vous y faire?

J’utilise l’expression « cruauté de la supervision » pour décrire cette situation où des superviseur.e.s bien intentionné.e.s offrent des conseils, des retours ou des encouragements qui nuisent au bien-être des étudiant.e.s.

Ces interactions peuvent déclencher des réactions négatives comme le stress, la culpabilité, l’anxiété et l’accablement. Elles pourraient même nous amener à ressentir des émotions plus complexes et ambivalentes ou ce que Lauren Berlant qualifie d’« optimisme cruel ».

La cruauté de ces expériences tient non seulement à leur caractère pénible et indésirable, mais aussi au fait qu’elles tendent à perpétuer les structures de pouvoir existantes (p. ex., capitalisme, patriarcat et racisme). Même s’il part d’une bonne intention, ce type d’encadrement peut solidifier les dynamiques de pouvoir dans notre vie quotidienne.

L’exemple cité au début de cet article illustre bien ce genre d’interaction : une superviseure conseille à son étudiante racisée de s’endurcir pour réussir dans le milieu universitaire. Au-delà des larmes, si nous reconnaissons que la blanchité et la masculinité continuent d’être privilégiées dans le milieu universitaire, ce conseil – même bienveillant – s’avère cruel.

Apprendre à la reconnaître

Le problème est que cette cruauté est omniprésente et souvent insidieuse, même pour les personnes qui en sont victimes. Alors, comment pouvons-nous la reconnaître?

Autorisez-vous à ressentir des émotions. Celles-ci sont une force, pas une faiblesse. Comme le montre Sara Ahmed dans The Cultural Politics of Emotion, nos émotions en disent long sur le monde qui nous entoure. Cela dit, il peut être difficile de savoir exactement ce que l’on ressent. Pour les personnes qui peinent à exprimer leurs sentiments, la roue des émotions pourrait être une ressource utile.

Identifiez le moment précis. Qu’est-ce qui a provoqué cette réaction? Était-ce un conseil particulier? Ou bien la manière dont il a été donné? Vos émotions peuvent aussi s’accumuler au fil de plusieurs conversations. Dans tous les cas, essayez de les relier à un élément précis de l’interaction.

Situez votre expérience. Réfléchissez à la manière dont ces interactions pourraient s’inscrire dans les normes, pratiques et idéologies du monde universitaire. Évitez de pathologiser ou d’individualiser votre expérience au point de vous persuader que vous êtes le problème. Si vous rencontrez des difficultés, n’hésitez pas à recourir à l’une de nos pratiques culturelles les plus chères et les plus productives : discuter avec d’autres étudiant.e.s aux cycles supérieurs.

Faire face au problème

Notre influence sur les systèmes qui régissent notre quotidien est limitée. Si mes conseils ne résoudront probablement pas l’éternelle tension entre structure et autonomie, ils pourraient améliorer votre expérience étudiante globale.

Faites preuve d’empathie. Votre superviseur.e est un être humain avec des défauts, qui projette probablement ses propres attentes et expériences sur vous. En partant de ce principe, engagez le dialogue avec empathie, en communiquant clairement vos aspirations et vos besoins.

Osez avoir des conversations difficiles. Dites à votre superviseur.e que vous aimeriez discuter d’un problème. Précisez le sujet (p. ex., un conseil qu’il ou elle vous a donné pour vous préparer au marché du travail). Évitez de vous étendre sur le sujet. Laissez-vous un peu de temps de préparation. Partagez vos ressentis et les points de blocage avec empathie. Discutez de la méthode d’encadrement utilisée et travaillez ensemble sur les prochaines étapes.

Ne suivez pas le conseil. Une nouvelle professeure adjointe m’a confié lors d’un entretien : « C’est peut-être parce que je suis un peu étrange, maladroite et pas toujours très attachée aux normes et protocoles sociaux, mais cela ne me dérangeait pas de dire à mon superviseur… que quelque chose n’était pas raisonnable ou ne fonctionnerait pas pour moi. » Nous avons souvent l’impression de devoir absolument suivre les conseils qu’on nous donne. Et pourtant, rien n’est moins vrai. Si quelque chose ne vous convient pas, essayez de trouver d’autres options ensemble.

Il est parfois nécessaire de se séparer. Nul besoin de rester avec votre superviseur.e parce que c’était votre raison de rejoindre le programme. Son sujet de recherche a beau correspondre parfaitement à vos intérêts, ce n’est pas le seul élément à prendre en compte. Vous pourriez bénéficier d’un autre type d’encadrement.

Qui a les cartes en main?

Les transformations les plus profondes de notre expérience ne résultent pas des tentatives de gestion administrative de la relation étudiant.e-superviseur.e, mais plutôt de nos façons d’interagir avec les autres. En tant qu’étudiant.e, vous avez plus de pouvoir sur cette dynamique que vous le pensez.

Cet article découle de mes recherches doctorales, pour lesquelles j’ai réalisé des entretiens détaillés et libres avec des doctorant.e.s passé.e.s et actuel.le.s en sciences sociales et humaines dans des universités canadiennes de 2018 à 2023.

Meagan Auer est doctorante en sciences politiques à l’Université de l’Alberta et médiatrice pour l’engagement communautaire au bureau des services de recherche de l’Université MacEwan.

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