Diriger avec soin : travail émotionnel et leadership universitaire

Les leaders de nos universités effectuent et supervisent un travail émotionnel considérable, et gagneraient à s’inspirer de l’éthique du soin.

Rectorat, vice-rectorat, décanat, vice-décanat, direction générale, adjointe, de programme, des études, de département et toutes leurs déclinaisons… Les rôles de cadres officiels ne manquent pas. Et c’est sans compter toutes les personnes qui sont amenées à servir de responsables dans les initiatives de recherche, d’enseignement et autres.

Même si les rôles et les responsabilités varient, les dirigeantes et dirigeants universitaires s’investissent généralement dans le travail émotionnel et les soins de différentes façons, en supervisant le travail (y compris le travail émotionnel) de leurs équipes et en apportant un soutien émotionnel dans leurs interactions avec le corps enseignant, le personnel, la population étudiante et diplômée ainsi que les collectivités en général. Et comme souvent, c’est un travail qui passe essentiellement inaperçu.

Cet article est le dernier d’une série de trois sur le travail émotionnel à l’université, coécrite avec Christie Schultz, chercheuse sur le soin et le leadership dans l’enseignement supérieur et doyenne du Centre de formation continue de l’Université de Regina. Dans notre premier billet, nous avons abordé le travail émotionnel associé aux activités universitaires; dans le deuxième, nous avons présenté les compétences susceptibles d’aider le corps enseignant à gérer sa charge de travail émotionnel. Cette fois, nous approfondirons le rôle de l’éthique et des compétences en matière de soin pour le leadership universitaire.

Nous avons, toutes deux, occupé des postes de cadres officiels à l’université pendant de nombreuses années. Directrice de département de 2016 à 2020, Loleen travaille depuis au décanat et anime des ateliers de perfectionnement professionnel pour les directrices et directeurs de département (en anglais) depuis 2019. Quant à Christie, qui travaille au décanat depuis 2020, elle est officiellement cadre depuis 2009 et a étudié l’éthique du soin chez les leaders universitaires. D’après notre expérience personnelle, nous croyons que les leaders universitaires pourraient consolider leur position en intégrant l’éthique du soin à leurs activités.

En quoi consiste le leadership centré sur le soin?

Au sens large, le leadership centré sur le soin met l’accent sur les relations, les liens mutuels et la réciprocité, tout en reconnaissant que les personnes sont au cœur de notre travail – et non le rendement, les processus ou les résultats. Dans notre contexte, c’est considérer que les universités sont portées par les actions collectives et concertées de nombreuses personnes, notamment la communauté étudiante, le personnel enseignant et administratif ainsi que toutes sortes de leaders universitaires.

Évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. L’éthique du soin – un moyen de « préserver, d’entretenir et de guérir notre monde pour y vivre le mieux possible », selon les mots de Joan Tronto (en anglais) – peut aider les leaders universitaires à prendre des décisions réfléchies, notamment en ce qui concerne les exceptions étudiantes pour des raisons humanitaires, le budget, l’embauche, la permanence et les promotions. Ajoutons-y les questions d’équité, d’égalité, de reproductibilité et de viabilité, sans parler de l’éternel débat sur le degré de transparence nécessaire, et la complexité de l’approche devient évidente. Mais l’objectif n’est pas de plaire à tout le monde.

L’éthique du soin permet de se poser les questions suivantes : que peuvent apporter les leaders universitaires à leur travail et au milieu lui-même en mettant le soin au premier plan? Comment le soin peut-il guérir et transformer l’éducation supérieure? Et comment gérer la charge de travail émotionnel que comporte cette approche?

Comment intégrer une approche centrée sur le soin au leadership universitaire?

Nous invitons les leaders universitaires qui souhaitent adopter une approche centrée sur le soin à considérer les éléments suivants :

  1. Considérez la sensibilisation et la reconnaissance comme essentielles. Dans notre dernier billet, qui s’inspirait du livre Leading with Feminist Care Ethics in Higher Education (accessible par voie numérique dans la plupart des bibliothèques universitaires), nous avons mis en évidence les compétences essentielles en matière de soin. Tout d’abord, il faut reconnaître le travail émotionnel comme tel : du travail. Pour adopter une approche centrée sur le soin, commencez par porter attention au travail émotionnel réalisé par vous et votre équipe. Observez les tendances. Quelles sont les situations les plus exigeantes en matière de travail émotionnel et de soin, et comment affectent-elles votre temps et votre énergie? Qui dans votre équipe assume le gros de la charge émotionnelle, et quels en sont les effets? Comme nous l’avons mentionné dans notre dernier billet, « le simple fait de reconnaître le travail du soin – y compris la charge émotionnelle associée – comme du travail est une compétence ». Tâchez de l’acquérir.
  2. Créez un environnement qui reconnaît et valorise le travail émotionnel. Efforcez-vous de rendre visibles le travail émotionnel et ses effets sur la charge de travail individuelle dans le milieu universitaire. Ouvrez le dialogue sur le sujet et n’hésitez pas à mentionner que ce type de travail revient souvent aux femmes et aux membres des groupes sous-représentés. Soulignez personnellement la contribution des personnes qui assument le gros de la tâche. Remettez en question les politiques et les pratiques qui contribuent, directement ou non, à faire passer sous silence le travail émotionnel et sa valeur. Soyez un modèle d’équilibre sain entre le travail et la vie personnelle pour que vos collègues n’aient pas peur d’écouter leurs besoins.
  3. Dégagez du temps pour le travail émotionnel et le soin. Le travail émotionnel fait partie intégrante de l’activité universitaire; il vous faudra donc trouver des moyens de lui faire de la place dans votre unité. Il ne s’agit pas forcément d’y passer plus ou moins de temps, mais de tenir compte des compétences et de la charge de travail requises.
  4. Reconnectez-vous à l’enseignement. Pour bâtir une bonne éthique du soin, les leaders universitaires doivent se replonger dans le monde de l’enseignement. Passer du temps en classe vous aidera à développer de l’empathie et à créer un lien avec la population étudiante ainsi que le personnel enseignant permanent et contractuel. Idéalement, l’inverse est aussi vrai : vous vous attirerez ainsi l’empathie de ces gens, qui auront ainsi plus de facilité à entrer en communication avec vous. Si bien des leaders universitaires continuent à assumer des tâches d’enseignement, l’accumulation des responsabilités les oblige souvent à délaisser leurs fonctions officielles dans le domaine. Rien ne vous force toutefois à tourner résolument le dos à l’enseignement; vous pouvez toujours donner des conférences et visiter les salles de classe.
  5. Souvenez-vous que les personnes sont au centre du travail universitaire. Tout ce que nous accomplissons, nous le devons au travail individuel et collaboratif du personnel. Parler de soin, c’est important. L’approche centrée sur les soins peut transformer la manière de diriger – et, par le fait même, le milieu universitaire lui-même.
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