Valoriser le travail émotionnel dans le milieu universitaire

Le travail émotionnel et les soins font partie intégrante de l’activité universitaire et devraient être reconnus comme tels.

Souffrez-vous de fatigue? Vous n’êtes pas seul.e. En mars 2023, un une enquête de la revue Nature auprès de son lectorat révélait que bon nombre d’universitaires se sentaient au bout du rouleau. En novembre de la même année, deux sondages de Psychology Today indiquaient des degrés d’épuisement préoccupants parmi les universitaires du Royaume-Uni. « Les universitaires et les enseignants font partie du même groupe à risque que les professionnells de la santé, les avocats, les dirigeant s d’entreprise, les chefs, les travailleurs sociaux et les journalistes. Ces statistiques sont alarmantes. On a un nombre incroyablement élevé d’universitaires qui souffrent, qui manquent de motivation et qui ne sont pas en bonne santé. »

À l’université, la fatigue et l’épuisement peuvent avoir de nombreuses causes, par exemple les horaires prolongés, la charge de travail importante et le stress. Un facteur essentiel trop souvent négligé est le travail émotionnel. Comme en témoignait une professeure dans l’article de Nature, « je me suis retrouvée épuisée par les exigences de mon travail – pas seulement par les heures ou le volume –, mais aussi par la culture de l’établissement et tout le travail émotionnel que ça impliquait ». C’est en 1983 que la sociologue Arlie Russell Hochschild a introduit le concept de travail émotionnel. Bien que son usage ait évolué, le terme désigne essentiellement la gestion des émotions exercée dans le cadre d’un emploi salarié. Le secteur universitaire comprend une part non négligeable de travail émotionnel qu’il est crucial de valoriser.

Cet article est le premier d’une série de trois sur le travail émotionnel à l’université, coécrite avec Christie Schultz, autrice de Leading with Feminist Care Ethics in Higher Education et doyenne du Centre de formation continue de l’Université de Regina. Dans ce billet, Christie et moi explorons les manifestations du travail émotionnel dans l’enseignement supérieur. En mai, nous verrons comment les compétences en matière de soin peuvent aider les enseignant.e.s et les étudiant.e.s de tous les cycles à gérer la charge de travail émotionnel. Dans notre troisième article, qui sera publié en juin, nous nous pencherons sur le rôle du travail émotionnel à tous les échelons du leadership universitaire.

Comprendre le travail émotionnel et ses répercussions

Le travail émotionnel se distingue du travail physique, intellectuel et créatif. Beaucoup de professionnel.le.s doivent accomplir un travail émotionnel considérable, notamment en éducation, en santé, en hôtellerie ainsi qu’en vente et services. C’est aussi chose courante dans des environnements de travail sans interaction directe avec une clientèle ou des patient.e.s. Rose Hackman, autrice de Emotional Labor: The Invisible Work Shaping Our Lives and How to Claim Our Power soutient que « le travail émotionnel n’est pas néfaste. Il est très précieux. Idéalement, c’est quelque chose que tout le monde devrait adopter ».

Néanmoins, il est nécessaire de prendre en compte plusieurs défis qui y sont liés. Tout d’abord, ce travail, en plus d’être souvent invisible et méconnu, n’est pas intégré dans les calculs des charges de travail, des critères de performance ou des systèmes de récompenses. Ensuite, il est éprouvant et lié à des effets néfastes pour la santé. En troisième lieu, le travail émotionnel est réparti de manière inégale : selon une étude de Statistique Canada de 2022, un cinquième des Canadien.ne.s employé.e.s travaillent dans le secteur des soins rémunérés, et 75 % de ces postes sont occupés par des femmes. Dans les professions qui ne sont pas liées aux soins, le travail émotionnel incomberait aussi plus souvent aux femmes et aux personnes racisées en raison des normes de genre et des stéréotypes raciaux relatifs à l’empathie et au soin.

Traiter le travail émotionnel comme une partie intégrante du travail universitaire

Le travail émotionnel fait partie intégrante de l’activité universitaire et se manifeste notamment dans :

  • l’accompagnement émotionnel des étudiant.e.s face à des problèmes de bien-être et de santé mentale;
  • le soutien émotionnel des collègues;
  • la gestion des problèmes d’intégrité universitaire;
  • le mentorat des étudiant.e.s, des auxiliaires de recherche, des universitaires en début de carrière et des collègues;
  • les tâches liées à la répartition des ressources ou à des sujets problématiques;
  • la promotion de l’équité, de la diversité, de l’inclusion et du travail de décolonisation;
  • les activités de recherche sur des sujets émotionnellement éprouvants.

Le manque de formation en matière de travail émotionnel constitue un défi majeur. Selon l’article de Nature, la professeure citée précédemment « consacrait du temps à conseiller des étudiant.e.s sur des sujets tels que la violence domestique et les troubles mentaux, bien qu’elle ne soit pas formée dans ces domaines ».

Un autre problème réside dans la répartition de cette charge de travail. Le personnel non enseignant, comme les conseiller.ère.s à la population étudiante, assume une grande part de ce travail émotionnel. Des études montrent que les femmes et les personnes non titularisées effectuent plus de tâches de ce type que leurs homologues masculins et titularisé.e.s. On avance également que les professeur.e.s issu.e.s de la diversité (les femmes, les Autochtones, les personnes racisées ou membres de la communauté 2SLGBTQIA+ ainsi que les personnes en situation de handicap) font face à des attentes plus élevées en matière de travail émotionnel. Comme le note Mirjam Mueller, « ce n’est pas que les hommes blancs ne fournissent jamais ce type de travail… mais qu’il n’est pas attendu d’eux ». Ce déséquilibre du point de vue du travail émotionnel soulève des questions de charge de travail et d’équité, car ce type d’engagement est généralement ignoré par les indicateurs traditionnels de réussite universitaire, en plus de consommer du temps et de l’énergie qui pourraient être consacrés à des travaux reconnus et valorisés.

Travail émotionnel et éthique du soin

Étant donné que le travail émotionnel est une composante intrinsèque du travail universitaire, quelles stratégies peut-on adopter pour le gérer efficacement? Peut-on l’envisager comme un soin, à travers le prisme de l’éthique du soin, pour améliorer la situation? Issue des recherches féministes, la notion d’éthique du soin met l’accent sur l’importance des relations pour éclairer nos décisions et nos actions.

Cette approche met en lumière deux aspects essentiels du travail émotionnel. D’une part, le travail de soin est intrinsèquement complexe, marqué par des spécificités situationnelles et relationnelles, et résiste à la systématisation. D’autre part, ce travail nécessite un souci de soi-même qui doit s’exercer tant à l’échelle individuelle qu’organisationnelle. Grâce au prisme de l’éthique du soin, nous pouvons réfléchir à la manière dont le milieu universitaire pourrait mieux reconnaître et soutenir le travail émotionnel de ses membres.

Dans notre article de mai, nous verrons comment les professeur.e.s peuvent intégrer l’éthique du soin dans leurs interactions avec les étudiant.e.s. En juin, nous approfondirons le rôle de l’éthique du soin pour le leadership universitaire. Cette série de sensibilisation vise également à offrir des méthodes de gestion pratiques du travail émotionnel dans le milieu universitaire.

Continuer la conversation sur le dossier des compétences

Quelles formes de travail émotionnel rencontrez-vous dans votre activité universitaire? Laissez vos témoignages en commentaire. Pour d’autres conseils sur l’enseignement, la rédaction et la gestion du temps, consultez mon blogue Substack (en anglais), Academia Made Easier.

J’ai hâte de vous lire. À la prochaine, et portez-vous bien.

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