Communiquer efficacement les connaissances scientifiques permet de sauver des vies

Se confronter à la pratique du transfert de connaissances n’est pas chose facile. Il faut délaisser le jargon scientifique et aller à l’essentiel pour informer et convaincre.

Two women talking

Les rapports alarmants du GIEC (Groupe d’expert.e.s intergouvernemental sur l’évolution du climat) ainsi que la pandémie de COVID-19 sont des exemples récents d’un phénomène qui n’est pas nouveau, mais prend de l’ampleur : la difficulté de bien communiquer les dernières recherches scientifiques afin de guider les actions des dirigeant.e.s. Il manque des stratégies efficaces pour traduire des données de recherche en actions sur le terrain et en politiques publiques.

Les efforts nécessaires pour partager des connaissances scientifiques afin d’en favoriser l’utilisation sont trop souvent sous-estimés. Les compétences pour le faire s’acquièrent rarement dans les laboratoires de recherche ou sur les bancs des universités. Ceci fait en sorte que, malgré les grandes habiletés de certain.e.s pour transformer des résultats de recherche dans un format approprié à un public non expert, la grande majorité des chercheurs et chercheuses n’ont reçu aucune formation pour le faire.

Nous faisons partie de l’Équipe RENARD, une équipe de recherche sur le transfert de connaissances (TC). Nous avons participé à plusieurs projets de recherche portant sur le transfert de connaissances et ses outils, mécanismes et activités.

Par exemple, une de nos études menée au Burkina Faso a évalué l’efficacité d’une vidéo pour transmettre des informations à des agent.e.s de santé au sujet de la dengue. Cette maladie, souvent confondue avec le paludisme, peut s’aggraver jusqu’à causer la mort lorsqu’on administre à la personne atteinte un traitement anti-paludique. La version finale de la vidéo produite a été diffusée par le ministère de la Santé du Burkina Faso et visionnée par des centaines de personnes. Une étude subséquente a montré l’efficacité de ce moyen pour sensibiliser et influencer les pratiques infirmières.

Une démarche pour utiliser la science

Il n’y a malheureusement pas de recette miracle pour communiquer efficacement les connaissances scientifiques. Mais la recherche sur le transfert de connaissances a clarifié la démarche et les étapes à suivre grâce une compréhension fine du processus qui fait que des savoirs vont être mis en pratique — ou pas.

Grâce aux nombreuses études sur ce sujet, on sait aujourd’hui que le fait de produire des connaissances, aussi pertinentes et rigoureuses soient elles, ne suffit pas. Les résultats validés par la science doivent être présentés à celles et ceux qui prennent des décisions pour changer leur pratique ou politique dans un format accessible (exit les rapports de centaines de pages que seul.e.s quelques scientifiques lisent!), avant d’être diffusés vers les publics susceptibles de les utiliser.

Afin d’utiliser le potentiel de la recherche, il faut aussi prévoir un accompagnement du changement lorsque nécessaire. Car opinions, habitudes ou idées reçues provoquent des résistances, qui ne peuvent être vaincues sans interactions avec les personnes qui vont utiliser la recherche.

Toutes ces questions et bien d’autres constituent le domaine de recherche à part entière du transfert de connaissances, en pleine effervescence depuis une vingtaine d’années, et qui se définit désormais comme la « science de l’utilisation de la science ».

Délaisser le jargon scientifique

L’équipe de recherche RENARD, de l’Université de Montréal, et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), basé en France, ont élaboré depuis 2020 trois cours gratuits en ligne. Ces MOOC (massive open online courses) sont offerts sur un mode asynchrone et autoportant, c’est-à-dire que les apprenant.e.s peuvent les suivre à leur rythme, au moment qui leur convient. Le premier présente une introduction au TC, le deuxième porte sur la préparation d’une note de politique et le troisième, sur le courtage de connaissances.

Des milliers de personnes ont ainsi découvert, de façon autonome, la science du transfert de connaissances, ses principes, et surtout les critères pour mesurer son efficacité. Par ailleurs, un accompagnement est offert à des équipes d’interventions en santé publique au Québec, en Côte d’Ivoire, au Mali, à Madagascar, au Kenya ou en France.

En Côte d’Ivoire, les chercheurs et chercheuses du centre de recherche d’exception PAC-CI, dont les travaux ont inspiré des recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur plusieurs fronts en prévention et traitement du VIH, se sont ainsi attelés à la rédaction de « notes de politique ». Ces documents synthétiques présentent des résultats de recherche dans un format accessible, assortis de recommandations pour l’action destinées aux personnes qui en auront besoin, comme des responsables, des soignant.e.s ou des personnes décisionnaires.

Se confronter à la pratique du transfert n’est pas chose facile. Il faut délaisser le jargon scientifique, sur lequel repose souvent la légitimité des scientifiques dans leur groupe de pairs, et aller à l’essentiel pour informer et convaincre. L’enjeu est de taille afin de contribuer efficacement à de nouveaux efforts internationaux en santé, comme l’éradication du cancer du col de l’utérus. Les notes de politiques préparées par les chercheurs et chercheuses de PAC-CI sont largement diffusées et présentées lors d’événements impliquant des personnes décisionnaires.

Des impacts concrets

À l’Institut Pasteur de Madagascar, cinq équipes de recherche entretiennent des réseaux serrés autour de projets cruciaux, comme l’amélioration du taux de vaccination infantile ou la santé en milieu carcéral. Pour accélérer l’impact de ces recherches, des partenaires d’agences gouvernementales, des organisations non gouvernementales et des scientifiques ont suivi deux cycles de formation sur le transfert de connaissances. Il en a résulté des ateliers délibératifs, des formations en milieu carcéral et de nombreux outils et initiatives qui contribuent à transformer le paysage de la recherche en santé et en sciences sociales sur l’Île.

En Afrique de l’Ouest, de multiples activités de transfert des connaissances réalisées ces 10 dernières années ont permis de faire évoluer les politiques publiques. Au Burkina Faso, la mobilisation d’un « courtier en connaissances » et la production de plusieurs ateliers où les personnes peuvent débattre à partir de données probantes et de notes de politiques ont contribué à la formulation d’une nouvelle politique d’exemption du paiement des soins pour les enfants de moins de cinq ans.

Au Mali et au Niger, des ateliers, des notes et un film ont permis de montrer aux responsables nationaux les difficultés de la mise en œuvre des politiques de santé en faveur des enfants. Au Sénégal, la capitalisation (et un atelier délibératif national) d’un projet sur les mutuelles de santé a inspiré le gouvernement à l’étendre à l’ensemble du pays afin de renforcer sa politique de couverture sanitaire universelle.

Enfin, en France, une intervention de « courtage en connaissances » est en cours d’expérimentation au sein d’une Agence régionale de santé pour favoriser l’utilisation des connaissances scientifiques afin de planifier des actions de santé publique pour réduire les inégalités sociales de santé, par exemple dans le domaine de l’environnement ou de l’habitat insalubre.

Un métier en quête de légitimité

Qui a la responsabilité de réaliser et de financer le transfert de connaissances? Alors que l’agenda des scientifiques déborde déjà, réaliser des activités de transfert demande de transformer des résultats de recherche complexes, les simplifier sans les trahir et d’encourager le public ciblé — différent selon les situations — à passer à l’action et à soutenir la formulation de politiques. Au-delà de stratégies de communication ponctuelle, il s’agit d’un engagement de longue haleine qui doit être soutenu par les bailleurs de fonds en recherche afin d’assurer l’utilisation effective des résultats scientifiques.

Les MOOC développés par l’Équipe RENARD et l’IRD sont certainement utiles pour mener à une plus grande utilisation de la recherche pour améliorer les pratiques et la prise de décision. Nous croyons que de plus en plus de personnes devraient en maîtriser les contenus. Bien sûr, à eux seuls, ils ne seront pas suffisants pour changer le monde, mais ils contribueront certainement à développer progressivement une compréhension commune du transfert de connaissances, et pourquoi pas, sauver des vies.

C’est ce qui s’est passé au Burkina Faso pour l’exemption du paiement des soins en faveur des enfants. Une politique de santé a été formulée et mise en œuvre à partir de connaissances scientifiques, grâce à la mobilisation des responsables politiques.

Christian Dagenais est professeur au Département de psychologie de l’Université de Montréal; Aurélie Hot est conseillère principale de recherche – Équipe RENARD sur le transfert de connaissances à l’Université de Montréal et Valery Ridde est directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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