Faut-il rémunérer les stages étudiants?

Quel est l'objectif d'un stage et en quoi est-il différent de la scolarité de base?

27 novembre 2018

Cet article a été publié à l’origine sur le site Web La Conversation. Lisez le texte original.

Les étudiants québécois se sont mis en grève il y a un an afin d’exiger que leurs stages soient rémunérés.

Ont-ils raison? Il s’agit là d’un débat émotionnel.

Certains ne jurent que par les stages non rémunérés, tout particulièrement ceux qui en ont tiré profit, alors que d’autres invoquent un enjeu d’équité lorsque le travail étudiant n’est pas rémunéré.

Cité en exemple par un article du Globe and Mail datant de 2014, un bachelier qui avait accepté un stage non rémunéré auprès d’une startup désargentée estime que c’est cette expérience révélatrice qui l’a mis sur les rails.

Le propriétaire de l’entreprise renchérit. Son entreprise a également profité de cette expérience, dit-il, car il n’aurait pu en accomplir autant s’il avait « embauché quelqu’un au hasard via internet ».

Pour cette entreprise, un stage est un moyen d’embauche. Et les bénéficiaires de stages non rémunérés ne voient pas de problème à ce type d’arrangement.

Mais d’autres expriment leur désaccord tout aussi vocalement et croient que les stages devraient être rémunérés. En 2016, Darren Walker, ancien président de la fondation Ford, faisait remarquer que les stages rémunérés sont une garantie d’égalité des chances.

Il soulignait que les jeunes d’un milieu aisé peuvent se permettre un internat de plusieurs semaines ou mois dans la mesure ou leurs parents peuvent leur fournir une allocation équivalente à un salaire. Les étudiants de milieux moins favorisés ne peuvent pas bénéficier d’un tel subside.

Les étudiants grévistes du Québec ont indiqué qu’ils doivent soit abandonner un emploi payant, ou travailler de nombreuses heures supplémentaires durant leur stage non rémunéré.

Faire tout et n’importe quoi

Cette approche émotive ne permettra sans doute pas de répondre à la question du droit des étudiants à être payés pour leurs stages. Il vaut mieux regarder du côté de la définition du travail, du droit et des retombées économiques.

Le premier point est le plus fondamental: quel est l’objectif du stage et en quoi diffère-t-il des études?

En tentant d’analyser la définition du travail, Ingy Bakir, doctorante à l’université Concordia et moi-même n’avons pu nous accorder sur ce qui constituent les responsabilités dans le cadre d’un stage. Entre autres divergences: qui est stagiaire ? (un étudiant, un diplômé) ? Quelle est la durée d’un stage (quelques semaines, des mois) ? Comment le travail est-il structuré: y a-t-il des tâches prédéfinies, ou les stagiaires doivent-ils s’attendre à répondre à toutes sortes de demandes ?

Il y a cependant un point de convergence essentiel: les stages permettent d’acquérir les connaissances cliniques ou pratiques qui assurent le transfert de leur apprentissage académique vers le vrai monde du travail. Un stage, c’est à la fois du travail et un apprentissage.

Bien que le droit varie selon les juridictions, la définition du travail y est cependant plus lisible et plus simple. Selon le cabinet Gowling WLG, la majorité des codes du travail au niveau provincial considèrent les stagiaires comme des employés, tant qu’ils fournissent un travail à une organisation, qu’ils reçoivent des directives de ladite organisation, et que l’employeur retire un bénéfice de leur travail.

La seule exception s’applique aux étudiants qui s’acquittent de leur stage dans le cadre d’un programme académique. La plupart des codes du travail provinciaux, y compris au Québec, comprennent cette exemption.

On pourrait en conclure que la loi autorise les stages non rémunérés.

Accepter de payer

La deuxième question est de déterminer si toutes les expériences de travail étudiant sont non rémunérées. C’est loin d’être le cas. En effet, une compensation financière est un élément-clé de l’enseignement coopératif.

Les programmes d’enseignement coopératif alternent périodes d’étude et périodes de travail. Durant les périodes travaillées, les étudiants sont placés dans des postes rémunérés.

Beaucoup de stages étudiants sont également rémunérés. L’aspect le plus populaire du cours que j’enseigne, c’est bien le stage. La demande pour nos étudiants excédant souvent l’offre, la plupart des employeurs paient. Et comme dans tout marché concurrentiel, ceux qui ne veulent pas payer se retrouvent avec peu de candidats, ou encore des candidats de piètre qualité et finissent par se résigner à rémunérer les stages.

Qui en profite?

Notre troisième point cherche à établir dans quelle mesure l’employeur profite du travail de ses stagiaires. Au niveau individuel, cela dépendra de la performance dudit stagiaire. Globalement, toutefois, la réponse c’est oui, car sinon un employeur n’embaucherait pas de stagiaires.

La première justification pour ne pas payer un stagiaire est que l’employeur s’expose à des dépenses non salariales. Certains employeurs vous diront qu’un stage est une formation qui a un coût pour l’entreprise, et de ce fait ne peuvent se permettre de payer à la fois une formation et un salaire. Mais ce n’est un problème que s’il n’y a pas d’adéquation entre employeur et stagiaire et que l’employeur doit passer beaucoup de temps à superviser.

Ne pas avoir les moyens de payer ses stagiaires peut tout simplement être un choix. Selon les statistiques du Conference Board du Canada, les employeurs canadiens seraient de plus en plus avares. Ainsi, les budgets alloués en formation auraient en effet chuté d’un sommet de 1 116 dollars en 1993 à tout juste 889 dollars en 2017 par employé.

D’autres employeurs comparent le stage à un coût de recrutement. Suite à une entrevue, ils « essaient » les travailleurs pendant quelques semaines ou mois sans paie afin d’évaluer leur performance. Est-il juste pour un candidat potentiel de travailler pendant des semaines ou des mois afin que l’employeur puisse réduire ses coûts d’embauche et de formation? Un candidat déjà employé ailleurs à plein temps pourrait-il se le permettre?

Autrement dit, les étudiants n’ont pas tort.

Universités et collèges peuvent certainement empêcher les employeurs d’afficher des postes de stages non rémunérés sur leurs campus. Mais il y a des professions qui exigent une éducation clinique pour obtenir un diplôme. Des accords entre universités et employeurs permettent donc des stages sans rémunération. Il s’avérera plus difficile de modifier cette façon de faire.

Le cœur du problème réside en une lacune du code du travail, qui permet des stages non rémunérés pour certains étudiants, mais pas pour d’autres. C’est cela que les étudiants devraient cibler.

Légal ou pas, la pratique des stages non rémunérées continuera tant que dureront les barrières au premier emploi et que les employeurs pourront ainsi profiter d’une main d’oeuvre gratuite.

Saul Carliner est professeur d’éducation à l’Université Concordia.

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