L’arrêt de travail en milieu universitaire

Comment une professeure en est venue à faire passer sa santé avant sa carrière.

02 août 2024

Je suis une universitaire d’âge mûr dont la vie a basculé il y a quatre ans.

Le 31 juillet 2020, on m’a annoncé que j’avais le cancer du col de l’utérus. J’ai subi une opération majeure, six traitements de chimiothérapie et 28 traitements de radiothérapie au cours de huit longs mois. Je suis retournée au travail (à temps partiel, cependant) le 1er juillet 2021, puis, en janvier, j’ai pris un congé sabbatique de six mois. Le 1er juillet 2022, j’ai officiellement réintégré mes fonctions après une absence de deux ans.

En y repensant, je me souviens à quel point je me sentais mal à l’aise – trois semaines avant le début de la session d’automne 2020 – à l’idée de parler de mon état de santé à mes responsables. Curieusement, la professeure en moi, « Mme Barb », était étonnamment soulagée de ne pas avoir à s’adapter au contexte pandémique. À l’inverse, la chercheuse était furieuse de devoir prendre une pause pour combattre une maladie potentiellement mortelle.

Puisque je tiens énormément à ma vie privée, ma « stratégie » pour mon congé de maladie consistait, du moins au début, à être muette comme une tombe. Comme personne n’abordait d’emblée son état de santé dans mon milieu de travail, en tout cas pas avant la COVID, j’ai décidé d’instaurer une sorte de « règle du silence ». L’idée était que mon entourage comprenne qu’il était mieux d’éviter de poser des questions, à moins de vouloir encaisser des réponses difficiles.

Est-ce que cette manœuvre du siècle m’a permis d’éviter les mauvaises blagues (« Mauvaise journée capillaire ou chimio? ») ou les commentaires malavisés (« Ça va être fini en moins de deux »)? Non. Mais les réactions sincères comme « Je suis de tout cœur avec toi » m’ont toujours fait du bien, parce qu’elles reflétaient de l’empathie.

Est-ce que je me suis déjà demandé si mon horaire universitaire chargé était à l’origine de mon cancer (« le retour du balancier »)? Non. Les facteurs de risque génétiques et les mutations de l’ADN sont les deux seules causes connues du cancer, selon mon intervenante préférée spécialisée en rémission et en sensibilisation, la Saskatchewanaise Amy Morris, qui a elle aussi survécu au cancer.

Tout de même, l’universitaire en moi n’arrivait pas à se défaire de la terrible crainte d’être pénalisée ou marginalisée, consciemment ou non, que ce soit immédiatement ou à l’avenir, pour avoir choisi de faire passer ma santé avant ma réussite dans la tour d’ivoire des publications à tout prix.

Au début, je me suis promis que je ferais tout en mon possible pour vaincre le cancer. La retraite anticipée ou le décès étaient hors de question.

« Est-ce que je peux travailler un peu, par exemple lire des courriels ou assister à des visioconférences de temps en temps? », ai-je demandé à mon oncologue avant de commencer la chimiothérapie. Sa réponse tout sourire nous a absolument ravies, moi et ma bienveillante équipe de travail. « Travaillez autant que vous le voulez, a-t-elle affirmé. Ça donnera du sens à votre vie. »

Ce que je n’avais pas anticipé, c’était à quel point ma compagnie d’assurance se soucierait de moi. À mon grand soulagement, ma demande d’invalidité longue durée a été acceptée tout de suite. Ma règle du silence a ensuite été enfreinte par des appels de la compagnie. Passant outre le conseil de « faire l’autruche » d’une personne de mon équipe qui avait aussi survécu à un cancer, j’ai décroché le téléphone à chaque fois, et pour cause.

Comme je vivais seule, mon quotidien était façonné par ma (merveilleuse!) « famille du coin », car les restrictions sanitaires empêchaient mes proches, dont ma sœur jumelle adorée vivant à Victoria, en Colombie-Britannique, de venir s’occuper de moi. Je souffrais aussi de toute une panoplie d’effets secondaires, comme une fatigue débilitante et des dysfonctions cognitives à la suite de la chimiothérapie.

Si vous vous dites que j’ai souvent dû me demander si mon « congé forcé » en 2020 n’était pas une mauvaise blague de l’univers, vous avez visé juste.

L’« histoire » que je me racontais, vous l’avez déjà entendue. J’étais punie de m’être brûlée au travail pendant les années – non, les décennies – de mon cheminement vers la titularisation à la mi-2016. Fière, mais épuisée, j’avais même lu The Slow Professor à l’automne 2017, mais j’avais échoué lamentablement dans ma tentative de déjouer le culte de la rapidité du milieu universitaire. Pis encore, je n’avais jamais réalisé que le travail émotionnel et mon rôle d’aidante drainaient mon énergie depuis longtemps, de façon systématique et insidieuse.

J’ai finalement compris au printemps 2021 qu’il y avait dans mon arrêt de travail une sorte de main du destin qui me faisait changer de cap. Moi, la musicologue anciennement fascinée par Johann Friedrich Fasch, un Kapellmeister allemand depuis longtemps mort et enterré (1688-1758), je me mettrais à écrire sur mon propre vécu comme personne ayant survécu au cancer pendant la pandémie.

On connaît la suite : mes deux mémoires, d’abord Perfect Timing (2021), puis Right on Time (2023), qui lui fait suite, ont été publiés en tant que ressources éducatives libres par l’Université de Regina. Il s’agit de textes sur la maladie très personnels, souvent humoristiques, qui ont pour objectif de sensibiliser et de divertir le public du monde entier (y compris les cohortes étudiantes de mon établissement qui suivront un cours de première année en littérature anglaise sur la médecine et la mort au trimestre d’hiver 2025).

J’espère que mon témoignage incitera d’autres personnes, en particulier dans le milieu universitaire, à parler de leur propre cheminement transformateur et qu’on lèvera ainsi le voile sur d’autres sujets tabous.

Barbara Reul est professeure titulaire de musicologie au Collège Luther de l’Université de Regina. Ayant survécu au cancer, elle n’aurait jamais imaginé avoir le courage de raconter son histoire. Elle prévoit enregistrer une version audio de son livre Perfect Timing pour en favoriser l’accessibilité.

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