Le CV descriptif pour changer la culture universitaire
L’abandon de la « recension complète » s’impose depuis un bon bout de temps.
Dans un monde où les nouvelles se résument en quelques caractères, il y a lieu de remettre en question le bien-fondé du CV universitaire du type canadien.
D’une longueur scandaleuse, ces documents de 30 à 50 pages, voire 100, comportent principalement de longues listes des travaux réalisés. Cette tendance à la recension complète s’observe dans toute la culture universitaire, du recrutement à la promotion en passant par les rapports de rendement annuel. Même les personnes qui préfèrent la qualité à la quantité ressentent la pression de recenser chaque publication ou présentation réalisée, chaque subvention obtenue, et chaque étudiante ou étudiant supervisé.
Or, personne n’aime dresser ces listes – quiconque a déjà rempli le CV commun canadien (CVC) créé par les organismes subventionnaires fédéraux le confirmera.
On justifie généralement cette navrante façon de faire par une définition du terme latin curriculum vitæ, qui signifie « déroulement de la vie ». Mais la cause réelle de cette pratique est qu’il règne au sein des études supérieures une culture qui valorise les résultats que l’on peut compter. Personne ne se demande qui a le temps de lire ces briques. Pire encore, en raison de leur longueur, les personnes qui les lisent ne choisissent sûrement que les passages qui les intéressent, ce qui compromet l’uniformité de l’évaluation.
Or, doucement mais sûrement, les mentalités changent : les organismes subventionnaires fédéraux évoquent depuis 2020 l’idée d’un CV descriptif. Le budget 2024 me donne curieusement espoir, parce qu’il prévoit une enveloppe de 6,6 millions de dollars pour l’établissement d’un système de gestion des subventions amélioré et harmonisé. Dans l’intervalle, les Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ont mis à l’essai un modèle de CV descriptif, le « CV des trois organismes », dont la longueur est limitée à cinq pages en anglais et à six en français.
Troquer les listes contre une approche descriptive
Pour que la culture universitaire cesse de tourner autour du nombre d’articles publiés et de dollars rapportés, il est temps d’adopter un format de CV qui brosse un réel portrait global.
Pour ce faire, bon nombre d’organismes subventionnaires en Europe sont passés à un format structuré, mais plus flexible, appelé CV descriptif. Un exemple incontournable : en 2017, la Société royale britannique, la plus ancienne académie scientifique ayant continuellement exercé ses activités, a mis un tel modèle à l’essai.
Révisé en 2019, son « CV pour chercheuses et chercheurs » ne comporte que quatre modules, le tout ne pouvant dépasser deux (!) pages et 1 000 mots au total, en plus d’une brève présentation des objectifs globaux personnels.
Ce CV s’est imposé dans le cadre des efforts de la Société visant à changer la culture de la recherche, soit la manière dont elle est valorisée et communiquée. La Société explique sa démarche dans cette vidéo.
Il en a depuis découlé le « CV pour la recherche et l’innovation », adopté l’Organisme de recherche et d’innovation britannique, qui chapeaute sept conseils de recherche octroyant des subventions d’un vaste éventail de disciplines.
Les avantages d’un CV descriptif
Un CV descriptif met de l’avant quelques exemples bien choisis, plutôt qu’une masse indiscernable de données. Ces exemples sont intégrés à une description visant à expliquer en quoi les travaux ont contribué :
1) à la production de connaissances;
2) au perfectionnement de personnes;
3) à l’avancement de la communauté de la recherche;
4) au bien de la société dans son ensemble.
Ce format permet ainsi d’expliquer en quoi les travaux ont eu une incidence, plutôt que de recenser tout ce qui a été fait. Et la définition d’incidence est assez vaste pour valoriser, au-delà des articles de revues et des fonds amassés, le mentorat, la consolidation d’équipe, la mise au point de pratiques cliniques, le travail d’élaboration de politiques et les collaborations avec la communauté.
Le CV descriptif respecte les principes de la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche, qu’ont signée en 2019 les cinq principaux organismes canadiens de financement de la recherche, afin que cessent l’importance démesurée accordée au facteur d’impact et le recours excessif à des indicateurs quantitatifs pour évaluer l’incidence de la recherche.
Les universitaires et non-universitaires ont intérêt à adopter le CV descriptif, puisqu’il facilite les travaux de recherche financés menés avec des codemandeuses et codemandeurs du domaine clinique ou du secteur privé, et qu’il rend bien compte des divers parcours universitaires. Un tel CV peut par ailleurs être rédigé pour une équipe : la soumission d’un seul CV pour une demande collective ferait gagner beaucoup de temps aux chercheuses et chercheurs, ainsi qu’aux personnes chargées de l’évaluation externe et aux comités d’examen du mérite.
Collaborations internationales en recherche
Il n’y a pas que les Britanniques qui ont adopté cette pratique.
D’autres organismes de financement européens leur ont emboîté le pas, ce qui présente un intérêt puisque les collaborations internationales sont valorisées au Canada.
Le Conseil de recherche néerlandais a mis le modèle de CV descriptif à l’essai en 2017, choisissant le format pour son programme de subventions Vici en 2019. La Fondation irlandaise pour les sciences demande un CV descriptif pour ses programmes de financement depuis 2019, le Fonds national de la recherche du Luxembourg, depuis 2021, et en 2020, le Fonds national suisse a adopté un format hybride alliant une section de recension des travaux à un style descriptif.
Au moins un gouvernement a validé ce changement : le ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle du Royaume-Uni a promis en 2021 de « favoriser l’adoption du CV descriptif des chercheuses et chercheurs » dans le cadre de sa Stratégie de recherche-développement pour le peuple et la culture.
Des études visent actuellement à évaluer les premières retombées du CV descriptif sur la culture universitaire, dont un projet qui met également à l’essai un tel modèle pour le recrutement en début de carrière.
Le changement n’est jamais facile, et le déploiement d’un nouveau format de CV pour les demandes de subventions entraînera assurément un certain mécontentement. Mais nous devons agir pour remplacer les CV de 50 à 100 pages, et contrer leurs effets sur la culture dans nos milieux de travail.
Joanna Harrington est professeure de droit et doyenne associée à la recherche pour le Collège des sciences sociales et des sciences humaines de l’Université de l’Alberta.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Gestion, évaluation et politique de santé - Professeur(e) au rang d’adjoint ou d’agrégé (administration des services de santé et services sociaux)Université de Montréal
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
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