Le mythe de l’égalité entre universitaires

Il est temps que les femmes refusent le travail émotionnel qui leur est encore trop souvent imposé

06 mars 2025

Au début du XXe siècle, un groupe d’hommes a fondé la société savante dont je fais partie aujourd’hui. L’épouse de l’un d’eux, tout aussi compétente et investie dans ce domaine que ses pairs masculins, devait se contenter d’écouter leurs échanges derrière une porte close. Elle n’a pas été invitée à rejoindre leurs rangs, sous prétexte que sa présence aurait terni la réputation de la discipline, en la réduisant à un « travail de femme » moins crédible aux yeux (supposés) d’autres universitaires masculins. Près d’un siècle plus tard, mon domaine compte de nombreuses chercheuses. L’une d’elles occupe même la présidence de la société – et ce n’est pas la première. On pourrait penser que la situation a beaucoup évolué, et, pour les femmes, dans le bon sens. Cependant, je soutiens que les femmes du milieu universitaire sont encore confrontées à des obstacles majeurs qui auraient dû disparaître il y a longtemps. 

Autrefois, les personnes qui enseignaient au primaire et au secondaire occupaient une place d’honneur dans la société : bien rémunérées, elles étaient considérées comme des figures centrales de la communauté. Il s’agissait aussi majoritairement d’hommes blancs. Tout a changé quand les femmes ont commencé à entrer en plus grand nombre dans l’enseignement. Puisqu’elles étaient davantage perçues comme des soignantes ou des gardiennes d’enfants, l’enseignement a perdu de son prestige, ainsi que sa rémunération élevée. Un phénomène similaire s’est produit en médecine, particulièrement pour les médecins généralistes. Et on pourrait dire que le milieu universitaire n’a pas échappé à cette dynamique. Il y a cinquante ans, les professeurs masculins disposaient de secrétaires personnelles fournies par leur établissement et, bien souvent, d’épouses à la maison qui s’occupaient des réceptions, de l’éducation des enfants et des tâches domestiques. Mais les choses ont commencé à changer avec la deuxième vague féministe. Il y a trente ans, les femmes étaient minoritaires aux cycles supérieurs, mais des politiques ont été mises en place pour promouvoir l’équité. Aujourd’hui, la majorité de mes collègues sont des femmes, notamment des professeures titulaires, des titulaires de chaires de recherche financées et de chaires de recherche du Canada; peu d’entre elles ont une adjointe administrative. « You’ve come a long way, baby » (Tu en as fait du chemin, chérie), rappelait une publicité pour cigarettes des années 1970. Malgré ces avancées, j’entends encore beaucoup de témoignages qui montrent que les femmes continuent d’être traitées de manière inéquitable. 

Prenez cette universitaire qui a découvert que son collègue masculin, ayant la même expérience qu’elle, gagnait 10 000 $ de plus par an. Lorsqu’elle a interrogé son directeur de département, il a répondu : « Eh bien, il a une hypothèque à payer et une famille à nourrir », sans se demander une seule fois qui payait son hypothèque à elle

Pendant mes études, deux de mes amies de l’université ont trouvé des sujets de recherche qu’elles adoraient et des directeurs de thèse qui leur convenaient parfaitement. Malheureusement, ces directeurs, tous deux mariés, leur ont rapidement déclaré leur flamme, obligeant ces étudiantes à changer de directeur et de sujet, tout en veillant à ne pas compromettre leur carrière. Ce problème existe depuis des décennies. 

En tant que femme dans le milieu universitaire, il est fort probable qu’on vous sollicite davantage, mais rarement pour des tâches qui valorisent votre CV : organisation de fêtes d’anniversaire ou des repas-partage de la faculté, encadrement d’un plus grand nombre d’étudiantes et d’étudiants, etc. Les universitaires masculins refusent souvent d’emblée ce type de travail émotionnel. Et même si je constate que de plus en plus d’hommes s’investissent dans l’éducation des enfants, je vois rarement un CV masculin mentionner la parentalité comme une « interruption de carrière » acceptable. Pas parce que ce n’est pas légitime, mais parce qu’élever des enfants n’interrompt tout simplement pas leur carrière. 

Certes, les politiques sur le harcèlement sexuel et l’équité ont mené à des progrès. Mais les femmes doivent prendre les choses en main, car personne ne le fera pour elles. Apprenez à dire « non ». Donnez la priorité à vos besoins, à vos désirs et à vos ambitions, tant sur le plan personnel que professionnel. Vous ne perdrez pas votre emploi, votre partenaire ne vous abandonnera pas et vos enfants continueront de vous aimer. Soyons honnêtes : à la fin de votre carrière, personne ne vous félicitera d’avoir écouté plus d’étudiantes et d’étudiants en pleurs ou d’avoir constamment cédé aux demandes de vos collègues ou de votre directrice ou directeur de département. Il ne vous restera que votre œuvre : le fruit de votre intelligence, de votre passion et de votre âme. C’est bien pour ça que vous êtes là, non? 

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