Réduire l’impact environnemental de la recherche : une responsabilité partagée
En ciblant certains comportements, il est possible d’améliorer considérablement le bilan environnemental des activités de recherche sans en compromettre la qualité.
La crise écologique, qui englobe notamment le déclin de la biodiversité et le réchauffement climatique, est un sujet incontournable pour la communauté de recherche internationale, y compris au Canada. Celle-ci alimente les connaissances sur les enjeux environnementaux et participe à l’élaboration de solutions pour y remédier.
Le fait que la recherche soit en grande partie financée par des fonds publics demande qu’elle soit effectuée de façon responsable et dans le respect de normes éthiques. La responsabilité sociale qui en découle implique que la communauté de recherche minimise les impacts environnementaux négatifs de ses activités, afin de ne pas nuire à la sécurité et à la survie des populations. Pourtant, cette responsabilité est peu discutée au sein de la communauté de recherche.
En 2021, les Fonds de recherche du Québec (FRQ) ont lancé leur Plan d’action sur la responsabilité environnementale en recherche. Au même moment, le Comité intersectoriel étudiant (CIE) des FRQ a entamé une réflexion au sujet de l’écoresponsabilité en recherche. Son rapport L’écoresponsabilité en recherche : constats, solutions et impacts, publié en juillet 2023, présente les conclusions émanant de consultations effectuées auprès de la communauté étudiante et de chercheuses et chercheurs, ainsi que d’une revue de la littérature. Il contient 12 recommandations visant à permettre à la communauté de recherche québécoise d’adopter des pratiques écoresponsables.
L’impact environnemental des activités de recherche
Certaines pratiques de recherche actuelles ont un impact considérable sur l’environnement. En prenant simplement l’avion dans le cadre de leurs activités professionnelles, les membres de la communauté professorale canadienne émettent en moyenne 7,5 à 9 tonnes d’équivalent CO2 (CO2-eq) par année, contre 1,1 tonne pour les déplacements aériens d’une Canadienne ou un Canadien moyen. Ces émissions dépassent largement les cibles de l’Accord de Paris, qui requiert de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) individuelles à 2,5 tonnes de CO2-eq (l’équivalent approximatif d’un aller-retour Montréal-Moscou) par année d’ici 2050. Le transport aérien est de loin la principale source d’émissions de GES associées aux activités de recherche, surtout pour participer à des conférences. La communauté de recherche considère que les technologies de visioconférence représentent ici une solution attrayante, en émettant de 97 à 200 fois moins de GES que les déplacements en personne.
L’importante consommation d’énergie et de matériel dans les laboratoires constitue un autre exemple de l’impact de certaines pratiques de recherche sur l’environnement. En 2014, la quantité de plastique à usage unique consommée dans les laboratoires de recherche en biologie, en médecine et en agriculture totalisait 5,5 millions de tonnes, soit l’équivalent de 83 % du plastique recyclé à travers le monde en 2012. L’utilisation des hottes d’évacuation d’air représentent environ 10 % de la consommation d’électricité de certaines universités. En outre, l’air échangé par ces installations est souvent chauffé par des systèmes de chauffage aux énergies fossiles, même au Québec, émettant jusqu’à 5 tonnes de CO2-eq par année dans certaines universités. Certains équipements de pointe, grandes installations de recherche, et serveurs pour du calcul informatique de haute intensité sont particulièrement énergivores. Par exemple l’entraînement d’un seul modèle d’intelligence artificielle peut engendrer des émissions de GES équivalentes à celles de cinq automobiles sur toute leur durée de vie. Les serveurs de calcul sont souvent situés à l’étranger et peuvent être alimentés par des énergies fossiles.
Les pratiques dont le CIE discute dans son rapport illustrent toutes un constat indubitable : l’empreinte écologique de la communauté de recherche excède largement le seuil qui assurerait un avenir sain aux écosystèmes dont nous dépendons. Ceci alors que la communauté de recherche est apte à innover afin de minimiser son impact environnemental. Dans le contexte où la transition durable se fait urgente, une question névralgique est de déterminer à qui incombe la responsabilité de mettre en œuvre des pratiques de recherche écoresponsables.
L’étau de la culture universitaire
Il est d’abord possible de cibler les comportements les plus nocifs sans diminuer, par ailleurs, la qualité de la recherche. En effet, certains comportements sont adoptés avant tout pour satisfaire à une pression induite par la culture universitaire. Le travail accompli par le CIE a permis de constater que les préceptes actuels de la culture d’excellence en recherche font souvent obstacle à l’adoption de pratiques écoresponsables. Par exemple :
- La participation à un grand nombre de conférences internationales est parfois motivée par l’importance accordée à ces activités dans l’évaluation des demandes de subvention et de bourse.
- Certains laboratoires utilisent du plastique à usage unique plutôt que de la verrerie afin de maintenir un rythme élevé de production de résultats, étant donné l’importance accordée à la quantité de publications dans l’évaluation des demandes de subvention et de bourse.
Dans ces deux cas, une révision des critères de l’excellence en recherche encouragerait les chercheuses et chercheurs à réduire leur empreinte environnementale, sans affecter la qualité de la recherche.
En effet, les bénéfices de la mobilité sur la qualité de la recherche et les collaborations seraient moins prononcés qu’on pourrait le croire. Au-delà d’un déplacement en avion par année, il n’y aurait pas de corrélation entre la mobilité aérienne et la productivité scientifique. De plus, la communauté consultée par le CIE rapporte que le nettoyage de la verrerie est moins chronophage que les chercheuses et chercheurs le croient communément.
En contrepartie, les personnes consultées par le CIE sont unanimes : les changements de pratiques devraient se faire sans l’imposition excessive de nouvelles contraintes sur les individus. De plus, certaines règles freinent actuellement la mise en place de pratiques plus écologiques, comme celle imposant l’achat au plus bas prix (à titre d’exemple, une option plus écologique comme le train est souvent plus coûteuse que l’avion). Pour que la mise en place de nouvelles pratiques soit étendue et pérenne, le CIE propose de faciliter les choix écoresponsables jusqu’à ce qu’ils deviennent le choix par défaut.
Une responsabilité partagée
Les organismes subventionnaires publics comme les FRQ, du fait de leur positionnement stratégique dans l’écosystème de la recherche et de leurs ressources, peuvent jouer un rôle déterminant pour assurer une transition vers des pratiques de recherche plus écoresponsables, notamment en actualisant la manière dont ils conçoivent et évaluent l’excellence en recherche. Les changements requis passent nommément par une modification des critères d’évaluation des demandes de subvention et de bourse afin de valoriser la qualité et l’impact des contributions plutôt que leur quantité.
L’évaluation des demandes de subvention et de bourse, bien que gérée par les organismes subventionnaires, est avant tout effectuée par les chercheuses et les chercheurs. Ces derniers peuvent donc encourager le changement en valorisant la qualité de la recherche plutôt que la quantité dans leur interprétation des critères d’évaluation.
Ensuite, les universités et les centres de recherche peuvent mettre en place des systèmes (p. ex : d’approvisionnement, de traitement des dépenses, etc.) qui réduisent les barrières à l’écoresponsabilité et qui feraient de l’option écoresponsable l’option par défaut.
Une responsabilité partagée apparaît également au chapitre de la sensibilisation de la communauté de recherche. Cette sensibilisation joue un rôle clé dans la mise en place de nouvelles pratiques, en particulier face aux habitudes solidement implantées. Par exemple, la simple présence d’un discours sur les déplacements aériens aurait une influence sur les comportements de la communauté de recherche. Au demeurant, la sensibilisation est plus efficace quand elle est effectuée par toutes les parties prenantes. Les chercheuses et chercheurs peuvent sensibiliser leurs collègues en donnant l’exemple, alors que les organismes subventionnaires et les universités peuvent mettre en place des initiatives plus structurantes.
L’avenir de l’écoresponsabilité en recherche
En ciblant certains comportements, il est possible de réduire considérablement l’impact environnemental des activités de recherche sans en compromettre la qualité. Le CIE a formulé en ce sens un ensemble de recommandations à l’endroit des FRQ, dont les universités peuvent également s’inspirer. Elles visent d’abord à s’assurer que les individus adoptant des pratiques écoresponsables ne soient pas pénalisés, plutôt qu’à ajouter des contraintes aux chercheuses et chercheurs. La transition écologique de la recherche passe aussi par une révision des critères d’évaluation des demandes de subvention et de bourse afin de réduire le poids des activités qui peuvent paraître génératrices de grandes retombées scientifiques, mais qui ont un fort impact environnemental.
Par la suite, compte tenu de l’impact environnemental substantiel des déplacements aériens, des mesures contraignantes pourraient s’avérer nécessaires après une période de sensibilisation de la communauté. De nombreuses institutions européennes et américaines ont déjà mis en place de telles mesures, ne remboursant les transports aériens que si le déplacement terrestre excède une certaine durée ou encore en imposant des limites à la mobilité des chercheuses et chercheurs de certains départements.
Dans un contexte où l’urgence climatique appelle une transition écologique forte et rapide dans l’ensemble des secteurs d’activités, et étant donné la responsabilité accrue du milieu de la recherche, entre autres en raison de son financement public, il apparaît nécessaire de revoir les pratiques de recherche. Bien que les recommandations formulées par le CIE visent à conseiller les FRQ dans leur démarche de transition durable du milieu de la recherche québécois, les constats qui les appuient pourraient inspirer l’ensemble de la communauté de recherche.
Composé de 12 membres, le Comité intersectoriel étudiant est un comité commun aux conseils d’administration des Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, Santé et Société et culture (FRQ). Son mandat est de conseiller le scientifique en chef du Québec et les conseils d’administration des FRQ sur les questions touchant la relève en recherche, plus spécifiquement l’accessibilité du financement de la recherche, la valorisation du potentiel de la relève, et son impact dans la société.
Postes vedettes
- Doyen(ne), Faculté de médecine et des sciences de la santéUniversité de Sherbrooke
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
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2 Commentaires
Ce texte est intéressant, mais il n’aborde pas au moins deux dimensions à prendre en compte. En Europe, devrait être en effet systématiquement favorisé le fait de prendre le train plutôt que l’avion même s’il est en effet prouvé que (anormalement) les tarifs des trains sont supérieurs à ceux de l’avion. En revanche, il apparaît très difficile de privilégier le train par rapport à l’avion sur le continent nord-américain tellement le continent est en retard à ce sujet par rapport à l’Europe après avoir quasi-abandonné son transport ferroviaire. L’arrêt de la ligne entre Montréal et New York est symbolique à cet égard. Par ailleurs, dans le texte, il est question de déplacements en avion et de résultats de recherche, d’excellence. Il ne faut pas oublier que les déplacements constituent aussi un moyen de développer des relations sociales qui vont bien au-delà du travail mais qui peuvent aussi rejaillir sur le travail. Ainsi, un voyage au Brésil peut être l’occasion à plus long terme de développer des liens entre les universités d’attache des deux (ou plus) collègues concernés. La situation est donc bien complexe même si je suis bien d’accord avec l’importance de limiter le financement de déplacements en avion. Vive le train. Mais où ?
Il s’agit effectivement de points très importants! Au sujet du train en Amérique du Nord, c’est effectivement pourquoi nous proposons dans notre rapport de considérer rendre le transport terrestre obligatoire uniquement sur l’axe Québec-Toronto pour l’instant. Il est aussi important de sensibiliser la communauté de recherche au fait que la voiture est souvent plus écoresponsable que l’avion sur les courtes distances (oui oui, les données montrent que certain.e.s professeur.e.s d’université prennent l’avion pour aller de Montréal à Ottawa).
Les déplacements peuvent effectivement être extrêmement bénéfiques pour les chercheur.euse.s, en particulièrement pour la relève. L’idée n’est donc pas de les éliminer, mais de mieux choisir ses déplacements.