Les frais cachés du désinvestissement en recherche et innovation
Le financement de la recherche contribue à soutenir les professionnel.le.s qui, dans l’ombre ou derrière le rideau, soutiennent les équipes de recherche dans l’atteinte de leur plein potentiel et les accompagnent dans les dédales règlementaires.
La récente annonce du Budget fédéral 2024 en matière de financement de la recherche semble répondre aux attentes de plusieurs intervenant.e.s du milieu et nous joignons notre voix à la leur pour saluer les efforts du gouvernement. Or, comme le faisait remarquer le commentateur Alex Usher, une large part du financement promis et dédié aux organismes subventionnaires et aux infrastructures de recherche ne semble pas garantie au-delà des prochaines élections.
Si le financement contribue en première instance à la capacité de recherche elle-même en couvrant les dépenses liées à sa réalisation per se (c.-à-d. consommables, déplacements, infrastructures, équipements, etc.) et les ressources humaines et cognitives pour ce faire (c.-à-d. les étudiant.e.s, postdoctorant.e.s, personnel de recherche, etc.), il permet aussi de soutenir les ressources humaines nécessaires à son obtention et sa gestion. C’est à ce titre que l’Association des administratrices et des administrateurs de recherche universitaire du Québec (ADARUQ) agit comme observatrice privilégiée de nos écosystèmes de recherche et ajoute sa voix à celles des chercheurs et chercheuses, étudiant.e.s, universités et politicien.ne.s.
Financement de la recherche comme financement indirect de l’université
Peu connu du public – et même de notre communauté universitaire – le financement de la recherche permet de couvrir les frais associés à l’administration de la recherche (pré/post-octroi) ainsi que le respect des cadres règlementaires. En effet, chaque établissement reçoit un montant proportionnel au volume de subventions reçues afin de s’acquitter de l’ensemble de ses responsabilités; il s’agit, entre autres, des fonds de soutien à la recherche (FSR) et des frais indirects.
Ce financement permet d’avoir du personnel à la hauteur des connaissances et compétences nécessaires pour soutenir nos équipes de recherche afin d’obtenir du financement public ou privé (c.-à-d. révision des demandes de subvention, négociation des contrats de partenariats ou de transfert de données, élaboration des montages financiers, démarchage auprès de partenaires industriels, etc.), mais aussi de veiller au respect des cadres règlementaires (c.-à-d. éthique de la recherche avec des êtres humains ou des animaux, intégrité scientifique, sécurité de la recherche, impact environnemental, marchandises contrôlées, biosécurité, etc.) et des exigences de reddition de compte.
Ici encore, l’allocation des ressources dédiées aux services de soutien à la recherche partenariale fait du surplace depuis environ une dizaine d’années. L’ADARUQ observe une augmentation corollaire de la charge de travail chez ses membres rattaché.e.s à des bureaux de la recherche, où c’est tout le personnel qui subit une pression accrue.
Quête de financement comme compromis difficile
En effet, la diminution de la part du financement public de la recherche place les universités dans une quête incessante d’alternatives. Dans ce contexte, les universités doivent jouer de séduction auprès de partenaires de recherche (p. ex. industries, ministères, OBNL, etc.) afin qu’ils défraient les fonds requis à l’atteinte d’objectifs de recherche. De cette façon, les universités parviennent généralement à obtenir une part supplémentaire de frais indirects, financés par l’entreprise partenaire, mais au prix des compromis qu’une telle alliance implique.
Il est à noter que le financement privé peut venir de fonds philanthropiques ou de fondations privées, qu’on peut penser être plus souples ou moins portés à faire pression sur la recherche qu’ils rendent possible, or, dans cette situation, des frais indirects de recherche ne sont généralement pas perçus.
Cette quête de financement alternatif place le milieu de la recherche dans une posture inconfortable où, d’un côté, il doit se prémunir des ingérences et interférences afin de protéger l’autonomie universitaire et, de l’autre, consentir à des compromis quant aux objets de recherche qui subissent l’influence des besoins actuels et immédiats des partenaires. Au provincial, nous parlerons de financement « avec modalités » qui suivent les priorités du gouvernement. Cette situation devient encore plus difficile quand les universités doivent éviter certaines sources externes de financement, souvent en raison des risques qu’elles soulèvent notamment en termes de sécurité nationale (domaines ou technologies sensibles, affiliations préoccupantes, etc.).
Incertitude délétère à l’innovation
Outre le sous-financement de la recherche, la précarité des fonds compromet les capacités de recherche des universités québécoises et, de manière générale, du Canada. Le personnel de recherche dans les laboratoires occupe principalement des postes temporaires. Par conséquent, ces individus sont souvent contraints de réorienter leur carrière alors même qu’ils acquièrent de l’expérience et se spécialisent, leurs postes ne pouvant plus être maintenus car les subventions ne suivent pas nécessairement l’évolution de leurs salaires. Autrement dit, plus le personnel accumule d’expérience, moins les conditions financières lui sont favorables. Cette situation touche non seulement le personnel des laboratoires, mais également certains postes administratifs liés à la recherche et à ses enjeux qui dépendent également des fonds de recherche. Dans l’ensemble, cette instabilité entrave la rétention du personnel hautement qualifié, avec les effets délétères qu’on imagine et qui résultent d’une perte de connaissances, de compétences et d’expérience au sein des universités.
En outre, en plus de l’incertitude financière, nous constatons depuis la dernière année une incertitude liée aux partenariats et à l’embauche de personnel venant de l’étranger, en raison des mesures liées à la sécurité de la recherche et aux restrictions en matière d’immigration. Ceci limite encore davantage les capacités de recherche en réduisant le bassin de recrutement. Ces enjeux ajoutent à la complexité du travail des professionnels qui guident les équipes de recherche à travers ces règles et exigences.
Position protectionniste qui fragilise nos écosystèmes
Car en parallèle à la diminution du financement s’opère un phénomène d’accroissement des exigences en termes de reddition de compte. Si des garanties quant à une saine gestion des ressources est sans conteste requise afin d’éviter les dérapages et dérives, la multiplication des redditions de compte monopolise les ressources des bureaux de la recherche au détriment d’un soutien à la recherche. À l’instar des autres pays du G7, dans la dernière décennie, de nouvelles règles sont venues s’ajouter au paysage : équité, diversité et inclusion (EDI), gestion des données de recherche, sécurité de la recherche, etc. Or, les ressources financières dédiées à ces nouveaux enjeux, comme pour les autres cadres règlementaires (éthique de la recherche avec des êtres humains, bien-être animal, biorisque, intégrité scientifique, etc.), n’ont pas toujours suivi en soutien à la charge de travail supplémentaire qu’ils appellent pour bien faire les choses.
L’exemple de la sécurité de la recherche (sécurité nationale) constitue une illustration récente de cette situation. Certaines universités québécoises ont reçu quelques dizaines de milliers de dollars pour l’année 2023-2024 afin de couvrir les frais liés à cet enjeu règlementaire – montant qui, au moins, dépasse les 41 dollars reçus par l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard! Si le contraste amuse, un fait demeure : dans les deux cas, les sommes ne permettent pas de doter un poste à temps complet au sein des établissements ou de bénéficier de ressources externes qui puissent soutenir l’établissement dans sa réponse à ces nouvelles exigences. Nous passons sous silence les universités qui n’ont rien reçu. Enfin, soulignons au passage que les autres professionnels en affaires règlementaires (éthique, intégrité, bien-être animal, gestion des données de recherche, etc.) ne bénéficient pas de financement dédié et que des enveloppes budgétaires ne sont pas prévues pour absorber la charge de travail des conseillers et conseillères à la recherche qui doivent composer avec la multiplication des concours et des règles de reddition de compte associées. Autrement dit, quand les ressources financières ne suffisent pas, la charge de travail échoit au personnel en place qui, en l’état, sont déjà sous pression.
Les constats qui s’imposent aux yeux des observateurs privilégiés du milieu de la recherche que nous sommes forcent donc à s’interroger : à quel point le faible niveau de financement de la recherche et de ce qui s’y trouve en périphérie pour la soutenir vulnérabilise-t-il nos écosystèmes de recherche?
En conclusion, nous dirons que les administratrices et administrateurs de recherche – terme générique qui inclut aussi, à certains égards, les professionnel.le.s responsables du respect des cadres règlementaires liés à la recherche – pédalent en tandem avec les chercheuses et chercheurs. Des investissements insuffisants en recherche ont l’effet d’un vent de face et se traduisent par une perte de vitesse généralisée. Nous estimons qu’il est temps d’agir avant que le tout déraille.
Guillaume Paré est président de l’Association des administratrices et des administrateurs de recherche universitaire du Québec. Le texte est cosigné par les membres du comité de direction : Nathalie Champagne, Jean-Benoit Cormier Landry, François D’Anjou, Jean-François Delabre, Julie Frédette, Sophie Gauthier-Clerc, Rim Haddad, Tommy Seaborn.
Postes vedettes
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Doyen(ne), Faculté de médecine et des sciences de la santéUniversité de Sherbrooke
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
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